Financements publicitaires et média

Analyses d’ Alan Ouakrat

Maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

Bio et vidéo

Alan Ouakrat est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Chercheur à l’IRMECCEN et enseignant à l’Institut de la Communication et des Médias, ses recherches portent sur les interactions entre la publicité et l’information en ligne. Il s’intéresse au fonctionnement du marché publicitaire, aux pratiques des utilisateurs et des professionnels.

 

Durée de la vidéo: 10mn

En synthèse

La presse procède depuis longtemps par enquête qualitative pour demander aux gens ce qu’ils lisent, ce qui s’est transformé en ligne en mesure d’audience automatisée : observer et enregistrer les comportements des lecteurs.1 Cela permet notamment d’élaborer les stratégies éditoriales et publicitaires pour optimiser le temps passé sur leur site. Les éditeurs parlent de « contrat de lecture » pour évoquer cette relation entre les lecteurs et leur titre, mais elle implique aussi un tiers, les annonceurs. Il s’agit en effet d’un marché à deux versants, où les éditeurs doivent satisfaire les lecteurs mais aussi les annonceurs. La fonction principale de cette connaissance des publics est d’équiper les argumentaires de vente des régies publicitaires. Mais quantifier la relation du lecteur au média, c’est à dire trouver une métrique qui différencierait la qualité d’attention des lecteurs sur leur espace par rapport à d’autres espaces, reste un exercice très incertain.

Ces dernières décennies, il y a eu un changement du rapport de force entre les éditeurs et les annonceurs, qui a mis les premiers dans un contexte de précarisation dans lequel leur approche de la production de l’information a pu évoluer.2 Aujourd’hui, les lecteurs sont moins fidèles qu’auparavant, ils consultent un grand nombre d’articles et de sites mais au final, ils sont moins investis dans la relation avec un titre de presse en particulier et des habitudes de lecture. Les éditeurs s’en plaignent et sont prompts à critiquer le rôle des GAFAM dans le commerce des données, mais leurs responsabilités propres dans cette évolution doit aussi être considérée : dans quelle mesure sont-ils transparents sur la manière dont sont collectées les données, auprès de qui elles sont partagées, et les traitements qui en sont réalisés ? Le consentement des lecteurs est-il éclairé et explicite ? Quel est le rôle des annonceurs dans la production de l’information ?3 En définitive, les éditeurs voudraient tout savoir sur leurs lecteurs mais révèlent très peu sur leurs propres pratiques .

L’économie des médias est éminemment politique, dans la mesure où elle conditionne l’information des lecteurs sur des questions démocratiques. Dès lors, on peut estimer qu’il y a un devoir d’information des lecteurs sur comment fonctionne cette économie des médias et de la publicité, donc sur le financement de l’activité de production de l’information.

« Dans un environnement qui évolue très rapidement, il pourrait être utile de disposer d’un observatoire qui réunisse à la fois des universitaires, des chercheurs et des professionnel »

Le développement des bloqueurs de publicités chez les lecteurs en ligne peut être considéré comme une forme de vote, et les positions moralisatrices du groupement des éditeurs, le GESTE, procède comme une forme de chantage à la démocratie : «  si vous voulez avoir accès à des contenus gratuits, permettez-nous de collecter autant de données que nous voulons (même si nous ne sommes pas clairement en mesure de vous dire ce qui est fait de vos données) ». L’enjeu démocratique apparaît d’autant plus important que les principaux médias – ceux attirent le plus d’attention – n’apparaissent pas nécessairement comme étant les meilleurs médiateurs du débat public. Souvent, on peut y observer une certaine révérence par rapport au pouvoir politique, notamment dans la période de tension actuelle (mouvement de contestation sociale lié à la réforme de la SNCF et des universités), on observe des positions peu nuancées et intégrant rarement les raisons de manifester des contestataires.

Si la publicité apparaît comme productrice d’externalités négatives, la solution de l’abonnement – c’est-à-dire le consentement-à-payer des lecteurs – paraît aujourd’hui limité car seule une petite partie d’entre eux peut s’abonner à plusieurs titres. Ce consentement-à-payer n’est pas extensible à l’infini, et cette approche paraît donc difficile à élargir à l’ensemble de la population.

D’un autre coté, on a des laboratoires d’expérimentation publicitaire, d’hybridation entre l’éditorial et la publicité (Vice, BuzzFeed, Konbini) qui n’ont pas le statut d’entreprise de presse, mais jouent de la confusion et du mélange des genres. On observe également des marques qui internalisent l’activité de média et produisent leurs propres contenus, en créant ce qu’on appelle les « médias propriétaires ». Pour tout ces acteurs, la confiance du public est à construire et le pari est loin d’être gagné .4

Il y a des enjeux démocratiques forts derrière la question de savoir comment on crée un espace public numérique pour les gens qui s’informent entre autres sur internet, et comment on peut informer sur le rôle des entreprises et des annonceurs sur internet alors qu’il y a une telle situation de dépendance aux revenus publicitaires . On se retrouve souvent confrontés à des murs payants lorsqu’on veut accéder à des contenus d’investigation. Le discours public des entreprises durant la COP21 indiquait que celles-ci avaient, par rapport à leur rôle dans la société, d’autres préoccupations que le profit. Il serait à présent pertinent de transformer ces paroles en actes. Un moyen d’y parvenir serait par exemple qu’elles contribuent à financer des contre-pouvoirs au monde de l’entreprise en participant davantage à l’économie des médias mais de façon moins directement intéressée et avec des gardes-fous.

Dans un environnement qui évolue très rapidement, il pourrait être utile de disposer d’un observatoire qui réunisse à la fois des universitaires, des chercheurs et des professionnels, pour que les points de vue et les analyses circulent mieux. Ceci dans le but d’éclairer la connaissance du fonctionnement de l’économie des médias et de la publicité et ses évolutions technologiques.

Notes

1. C’est à dire, savoir par exemple combien de temps ils restent sur une page, combien d’articles ils consultent, mais aussi à quel moment ils s’en vont.

2. Avant, les éditeurs disposaient d’une rareté de l’espace disponible pour faire de la publicité et étaient capable de faire les prix, aujourd’hui les annonceurs disposent d’espaces publicitaires abondants vendus peu cher en ligne. Les entreprises de presse ont désormais moins de moyens pour résister face aux grandes marques qui ont des moyens colossaux. En quelques années, on est passé de la publicité comme un mal nécessaire, à des contenus qui ont été utilisés comme des produits d’appel pour vendre d’autres choses, comme des abonnements téléphoniques ou des accès internet dans le cas de Drahi avec SFR. Dans le panorama actuel, il y a de gros annonceurs qu’il vaut mieux ne pas perdre, comme les grands groupes industriels LVMH et consorts. Le panorama varie aussi selon le secteur de presse duquel on parle.

3. La plupart du temps, la part des recettes publicitaires des médias n’est pas connue et publique, il faut la demander en entretien, et on a des fourchettes. Cette part varie significativement selon que le média est tourné vers l’information ou le divertissement et le caractère plus ou moins généralistes de ses activités . Ceux qui ne veulent pas entièrement dépendre de la publicité adoptent parfois des modèles hybrides avec une partie payante, et une partie premium, c’est à dire accessible gratuitement et financée par la publicité des annonceurs.

4. Pour l’instant ces projets éditoriaux ne tiennent pas dans la durée.

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ALAN OUAKRAT
Maître de conférences en sciences  à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

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