Publicité et économie

Analyses de Alexandre Chirat

Doctorant en Histoire de la Pensée économique à l’Université Lumière Lyon II

Bio et vidéo

Alexandre Chirat est doctorant en Histoire de la Pensée économique à l’Université Lumière Lyon II. Menée au laboratoire de l’Université Lumière Lyon II, sa thèse traite du projet théorique de John Kenneth Galbraith de construction d’une économie-politique institutionnaliste alternative à la théorie néoclassique étendue. Elle inclut l’analyse des effets de la publicité, y compris des travaux de Thorstein.

En synthèse

Du point de vue de l’histoire économique, la publicité émerge à la fin du 19eme siècle avec la révolution des moyens de transport et de communication (apparition des premiers médias de masse), qui met fin aux monopoles locaux des entreprises. La publicité s’impose également comme un moyen d’augmentation de la demande et du chiffre d’affaire pour pouvoir financer les « frais généraux ». L’émergence de ces frais généraux est liée d’une part au remboursement des intérêts du capital, emprunté pour bénéficier de l’essor du machinisme industriel, et d’autre part aux coûts du développement du salariat (paiement au temps et régulier de salaires indépendamment de l’évolution du chiffre d’affaire, à la place du travail à la tâche). À partir des années 1870, la publicité sert également l’image de marque des sociétés par action, laquelle détermine en partie la valorisation boursière et donc les capitaux que les entreprises sont susceptibles d’emprunter.

Deux grands courants théoriques s’opposent sur l’analyse du rôle économique de l’activité publicitaire, reposant notamment sur deux conceptions différentes de la nature de celle-ci:

– le courant néoclassique considère que la publicité est de nature essentiellement informative, qu’elle participe1 à la circulation de l’information économique sur les produits (effet positif du point de vue de l’idéal de concurrence pure et parfaite, puisque cela permet aux consommateurs de prendre leurs décisions en connaissance de cause).

– les auteurs institutionnalistes, tels que Thorstein Veblen et John Kenneth Galbraith considèrent que la publicité ne fait pas que diffuser de l’information et que sa nature est également persuasive. Dans ce cadre, la publicité est un outil stratégique et une activité de nature concurrentielle.

Les entreprises capables d’engager des investissements publicitaires très élevés peuvent dès lors l’utiliser comme une barrière face à l’arrivée potentielle de nouveaux concurrents, qui n’auraient pas cette capacité de communication.2

Face à la standardisation des produits, la publicité devient un outil de plus en plus précieux pour différencier les produits non par leur qualité, mais par la symbolique et l’image de marque. Veblen indique d’ailleurs que la publicité peut être considérée comme un gaspillage, dans la mesure où elle ne contribue en rien à modifier le produit ou son utilisation. De plus, on observe que dans les situations de marché oligopolistique, les entreprises dominantes ont un intérêt convergent à substituer la concurrence par la publicité à la concurrence par les prix.

En résumé, d’un point de vue rationnel pour l’entreprise, la publicité permet de gagner des parts de marché, d’éviter la guerre par les prix qui peut être ruineuse pour l’ensemble des concurrents et, pour les marques les plus puissantes, de constituer une barrière à l’entrée de concurrents potentiels ainsi qu’un outil de valorisation financière.

 » On peut conclure que « les entreprises produisent ce qu’elles désirent, et essayent de nous faire désirer ce qu’elles produisent (…)  Il paraît difficile d’imaginer une baisse des budgets publicitaires sans intervention juridique de l’Etat »

La publicité constitue un coût et n’est profitable que si le profit qu’elle génère est supérieur à leur coût. Or, selon Veblen, les entreprises en position d’oligopole qui se concurrencent essentiellement par la publicité sont en mesure de contrôler leurs prix3. Dans ces secteurs oligopolistiques, les dépenses publicitaires ont tendance à augmenter car les dépenses minimums de publicité pour pouvoir rentrer sur le marché (« borne inférieure ») augmentent, et les dépenses maximums de publicité pour rester profitable (« borne supérieure ») tendent également à augmenter (les entreprises dominantes sont en capacité d’augmenter leurs prix). Dans ce cadre, seule l’intervention de l’État par la voie législative peut limiter ou amener les dépenses publicitaires à baisser, surtout dans le contexte d’une mondialisation favorable à la mobilisation de l’outil publicitaire.

Au niveau macroéconomique, la théorie « hétérodoxe » indique que la publicité favorise la consommation des ménages au détriment de l’épargne, effet renforcé par l’accès facile au crédit à la consommation4. Selon Galbraith, la publicité participe d’un système économique dans lequel ce n’est pas le consommateur qui est souverain par ses décisions économiques pour orienter la production de biens et services. En effet, l’économiste analyse que ce sont avant tout les entreprises qui décident en amont de l’offre sur laquelle pourrait, seulement ensuite, s’exercer une liberté restreinte de choix.5 La publicité participant à influencer les préférences et les choix des consommateurs, on peut conclure que « les entreprises produisent ce qu’elles désirent, et essayent de nous faire désirer ce qu’elles produisent ».

Nous vivons depuis un siècle dans un régime économique dans lequel la publicité a pris une place essentielle et participe au bouclage entre l’offre et la demande, il s’agit d’enjeux macro-structurels sur lesquels il y a un sentier de dépendance historique très fort. Le processus de mondialisation met en concurrence les territoires et pousse encore l’activité publicitaire, donc il paraît difficile d’imaginer une baisse des budgets publicitaires sans intervention juridique de l’Etat – dont la souveraineté, notamment économique, paraît justement fortement limitée par les traités internationaux – et sans sortir d’une logique de concurrence internationale.

Actuellement, les normes environnementales constituent aussi, voire surtout, un outil de protectionnisme entre les Etats, et les stratégies de label des entreprises fonctionnent comme des outils de communication leur permettant de se différencier. Si l’on souhaite réduire le montant des dépenses publicitaires, les initiatives de l’Etat, y compris eu égard aux labels, ne peuvent que s’inscrire dans une perspective radicale conduisant à la sortie du modèle de croissance actuel.

Notes

1 Il convient de noter qu’il existe d’autres moyens de diffuser de l’information sur le marché que par le biais des entreprises.

2 C’est par exemple le cas sur le marché très concentré du textile sportif (Nike, Adidas etc.) dans lequel le coût de production est peu élevé, mais pour rentrer sur le marché, il faut passer un seuil critique de communication.

3 Les entreprises dominantes contrôlent leur marché, et ne subissent pas une concurrence importante, donc elles sont en mesure de contrôler leur prix, et de les fixer de manière relativement libre : « les prix administrés ». Il s’agit là des prix pratiqués auprès des consommateurs, car au-delà des aspects publicitaires, les prix demandés aux fournisseurs jouent également un rôle important sur les marges dégagées par l’entreprise.

4 Le livre The Rise and The Fall of American Growth (2016) de l’historien et statisticien américain Robert J. Gordon montre que dépenses publicitaires et crédit à la consommation se sont développés de concert aux Etats Unis. Plus d’information sur l’ouvrage: https://press.princeton.edu/titles/10544.html

5 Galbraith s’élève ici contre l’ analogie qui a été faite entre « consommateur » et « citoyen », selon laquelle de même que les citoyens, par le vote, décident d’élire ou de sanctionner quelqu’un, les consommateurs, par leurs décisions souveraines vis-à vis des produits, déterminent à long terme ce qui sera produit et mis sur le marché. L’auteur hétérodoxe défend que l’offre proposée par les entreprise étant restreinte, il n’y a pas de prétendue démocratie économique. Par exemple, peut être que 60-70% des personnes aimeraient rouler avec une voiture électrique, mais une demande ne peut être adressée qu’à une offre préexistante.

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ALEXANDRE CHIRAT
Doctorant en Histoire de la Pensée économique à l’Université Lumière Lyon II

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Professeur associé au département économique de l’Université d’Alicante (Espagne)

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