Communication et blanchiment d’image

Analyses de Sophie Dubuisson-Quellier

Directrice de recherches au CNRS-Sciences Po

Bio et vidéo

Sophie Dubuissson-Quellier est directrice de recherche au CNRS, Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences Po). Sociologue, ses travaux portent sur la fabrique sociale du consommateur, à l’articulation des interventions des entreprises, des mouvements militants et des politiques publiques. A récemment publié aux Presses Sciences Po, l’ouvrage Gouverner les conduites (2016), qui comprend le travail mené avec Laure Gaertner intitulé Le cas de la régulation des pratiques de greenwashing dans la publicité, et l’ouvrage La consommation engagée (2018).

Durée de la vidéo: 13mn

En synthèse

Le greenwashing (écoblanchiment) se définit par la mise en avant de fausses allégations environnementales qui peuvent se faire sur le produit ou dans le cadre de la communication institutionnelle1. Ses effets sont pluriels : d’une part cela trompe le consommateur, d’autre part ça lui donne bonne conscience s’il pense acheter quelque chose d’écologique, et enfin cela produit en général de la défiance à l’égard de l’ensemble des promesses environnementales.

Le système de régulation actuel du greenwashing est « très très faiblement coercitif », avec pour seul outil la notion de « publicité mensongère »2. Finalement, il y a peu de condamnations pénales et peu de sanctions dissuasives. Si on a tout de même observé un certain recul du greenwashing depuis une décennie3, on constate aussi qu’il se propage autrement sous de nouvelles formes, plus proche du produit, plus proche du lieu de vente.

Dans les années 20004, les revendications principales de la société civile portaient sur des demandes de règles juridiquement contraignantes assorties de sanctions, et la sortie de l’autorégulation par la création d’un Conseil supérieur de la publicité comprenant l’ensemble des parties prenantes, dont la société civile.

Jusqu’au Grenelle de l’environnement en 2008, les mécanismes de régulation de la publicité s’étaient avérés très stables d’un point de vue historique5. Le Grenelle a alors constitué un moment singulier en donnant lieu à la constitution de deux groupes de travail dans lesquels ont été abordées les question de publicité, qui ont servi de caisse de résonance aux revendications de la société civile6. Cela a finalement mené à l’engagement d’un processus ad hoc entre professionnels, société civile et pouvoirs publics, coordonné par le Ministère de l’écologie.

Néanmoins, assez vite est venu le temps des désillusions. L’alliance entre associations écologistes et associations de consommateurs est compliquée7, et les insiders activists ne se sont pas complètement parvenus à s’imposer au sein d’une industrie marquée par des précédents dans le domaine de la nutrition (avec le bandeau « manger, bouger » sur les publicités) et craignant les risques d’une réforme contraignante.

Finalement, afin de ne pas subir les réformes, le monde professionnel a mené une stratégie active et négocié avec les pouvoirs publics. Cela a conduit à la signature d’une charte, et à des engagements des professionnels à développer de bonnes pratiques afin d’éviter que les pouvoirs publics ne remettent en cause l’autorégulation8.

« Le Grenelle a mené à des engagements des professionnels à développer de bonnes pratiques afin d’éviter que les pouvoirs publics ne remettent en cause l’autorégulation. Ce dispositif sera jugé assez décevant, et les choses changeront peu »

Ce processus a donné lieu en juin 2008 à la création de l’ARPP, qui a remplacé le BVP comme instance professionnelle financée par les cotisations des adhérents. Sa mission est assez semblable à la précédente : juger de la conformité des campagnes publicitaires aux règles déontologiques (élaborées par l’instance interne, le Conseil d’éthique publicitaire, ou CEP) notamment lorsqu’elles incluent des recommandations de développement durable. Par ailleurs, l’organe jugeant de la conformité aux règles fut modifié avec la création du Jury de déontologie publicitaire (JDP), et une instance consultative incluant des représentants des associations environnementales fut introduite, le Conseil Paritaire de la Publicité (CPP), dominé par les associations consuméristes et familiales plutôt que par les associations environnementales.

Ce dispositif sera jugé assez décevant, et les choses changeront peu. Les plaintes sont vite écartées. Le temps n’est pas le même entre celui de la plainte, plutôt long et celui des campagnes de communication, qui s’accélère de manière croissante. Cependant, la coopération avec les pouvoirs publics prend davantage de place9.

Pour les professionnels, l’enjeu principal est de maintenir à distance la régulation. Plusieurs stratégies sont mises en oeuvre à cet effet, notamment le recours à un discours assez surprenant autour de leur incapacité à influencer les consommateurs : le consommateur est présenté d’abord comme ingouvernable10. En outre, les entreprises, en défendant le goût des individus pour une culture populaire incarnée par la publicité font valoir l’importance d’une liberté de création qui ne doit pas subir de censure.

Aujourd’hui, la situation est celle d’une industrie fortement sur la défensive pour protéger son auto-régulation, même si les outils des pouvoirs publics restent assez peu coercitifs11. Il convient de noter que d’autres outils, mis en place, par le monde militant ont aussi eu une certaine efficacité (comme l’Observatoire Indépendant de la Publicité, actif jusqu’en 201112, ou les Prix Pinocchio13) qui en dénonçant, médiatisant, conseillant, permet de remettre en question certaines allégations ou pratiques des entreprises.

On peut envisager plusieurs marges de manœuvre pour faire avancer la régulation : par des stratégies d’alliances, en travaillant d’avantage avec les associations de consuméristes qui ont une vraie expérience sur la dénonciation de la publicité, ou sur les continuités avec les insiders activists dans le monde de la communication14; par le renforcement des stratégies les plus efficaces de la société civile, de vigilantisme (veille et dénonciation), et de naming and shaming pour organiser la visibilité de la critique ; par un travail avec les opérateurs des technologies participatives pour créer des outils comme un « yuka15 du greenwashing »; en travaillant avec les pouvoirs publics enfin, qui ont besoin du soutien des militants dans la mesure où le greenwashing va à l’encontre des messages éducatifs qu’ils peuvent développer.

Selon la chercheuse, la production législative et la sanction du juge ont tendance à suivre l’opinion publique. Aussi en terme de régulation, l’efficacité se trouverait du coté de la sanction de l’opinion publique et de celle du milieu professionnel, car ce sont plutôt des enjeux réputationnels (bad buzz, opprobre) qui vont fonctionner.

Notes

1 Par exemple, usage de faux label, de couleur verte, d’une symbolique (ex : un arbre), d’arguments qui représentent ces fausses allégations… Le greenwashing consiste à mentir, omettre, sous/sur estimer, créer de la confusion, tourner en dérisions (il y a beaucoup d’exemples où les militants écolo sont tournés en dérision).

2 La notion de « publicité mensongère », et plus largement celle de « pratique commerciale trompeuse », est inscrite dans le code de la consommation, et dérive de la Directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005. La chercheuse évoque des avancées avec la seconde loi issue du Grenelle (dite Grenelle 2, 2010) qui a mis en place des obligations de validation par un tiers des affirmations environnementales.

3 Mesuré notamment par l’ ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

4 L’émergence de la problématique du greenwashing précède le Grenelle de l’environnement en 2008, avec une industrie qui avait commencé à répondre aux positionnements du monde militant. Par le Bureau de vérification de la publicité, les annonceurs avaient émis des recommandations en date de 1998 sous le label « argument écologique », de même que les agences de communication représentées à travers leur propre association professionnelle, l’AACC, Association des Agences-Conseils en Communication.

5 L’histoire de la régulation en France montre une grande stabilité autour des mécanismes d’autorégulation, avec la création (sous un autre nom à l’époque) dès 1935 de l’organisme professionnel, le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP). Selon la chercheuse, la transformation du BVP en Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) en 2008 peut apparaître comme une « petite révolution même si ceux qui ont suivi l’affaire constate que pas grand-chose n’a changé… ».

6 Ce qui a constitué un effet de surprise pour les professionnels qui considéraient avoir pris les devants sur la problématique du greenwashing. Les associations environnementales s’étaient alors regroupées dans une coalition large, l’Alliance pour la planète, et un relai était aussi venu des associations de consommateurs et familiales qui avaient saisi le conseil national de la consommation pour une réflexion sur la question des fausses allégations environnementales. A noter que les insiders activists, c’est à dire des gens du monde de la communication qui sont très acquis à la cause environnementale, ont joué un rôle important dans ces dossiers là.

7 Sur ce sujet, il pourrait être intéressant d’approfondir la question du mode de représentation du consommateur dans les associations consuméristes, qui n’est pas du tout le même que celui des adhérents/militants dans les autres secteurs associatifs.

8 Le tout était alors assorti d’une menace des pouvoirs publics de légiférer au bout d’un an si les promesses de l’industrie ne se confirmaient pas.

9 Pour les pouvoirs publics, comme il y a peu d’outils de coercition, l’idée est de travailler sur l’incitation, de mettre en avant et saluer les bons comportements de certains professionnels, pour pouvoir stigmatiser les mauvais, d’agir sur les réputations, pour aider à se conformer aux règles. Dans le même temps, il s’agissait de maintenir cette menace d’une initiative législative dans laquelle le monde professionnel a crû assez longtemps, et de faire valoir la critique de la société civile en jouant parfois des alliances avec certains organisations, comme par exemple avec France Nature Environnement.

10 Cette notion de consommateur-ingouvernable serait une sorte de mix entre celle du consommateur-souverain et celle du consommateur-versatile.

11 On peut penser que sur ce sujet, le secteur public se montrera peu interventionniste et privilégiera souvent les outils d’incitation et plutôt contractuels. Et que les professionnels ont un enjeu d’identité majeur qui les pousse vers des positions extrêmement défensives face à des velléités de régulation plutôt top down, et à engager des stratégies actives d’autorégulation.

12 L’observatoire indépendant de la publicité (OIP), mis en place dans le cadre de la coalition environnementaliste l’Alliance pour la Planète, menait des activités de veille et lançait des alertes, principalement sur les enjeux d’écoblanchiment. Son activité collective s’est arrêtée avec la dissolution de l’Alliance pour la planète en 2011. Lien vers le site de l’Observatoire : http://observatoiredelapublicite.fr/ .

13 Les Prix Pinocchio ont été initiés et portés principalement par l’ONG les Amis de la Terre entre 2008 en 2015. Ils consistaient à remettre annuellement des prix aux campagnes de communication des entreprises les plus irresponsables. Lien vers le site des Prix Pinocchio : http://www.prix-pinocchio.org/

14 Ces continuités ne se trouvent pas nécessairement chez les cadres supérieurs mais peut être plutôt chez les gens qui conçoivent les moteurs de voiture et qui n’ont plus envie de participer aux entreprises de duperie sur la mesure, les personnes qui travaillent dans la formulation des produits alimentaires et ont aussi des enfants dont ils ont pas envie qu’ils deviennent obèses. Etc.

15 Yuka est une application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et d’obtenir une information claire sur l’impact du produit sur la santé. Lien vers le site : https://yuka.io/

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