Communications alternatives des ONG

Analyses de Peter Marcuse

Cofondateur de Brandalism (UK)

Bio et vidéo

Avec Brandalism, réseau britannique de détournement de publicités à des fins politiques, Peter a notamment coordonné l’action de détournement de 600 panneaux publicitaires à la veille de la COP 21 à Paris. Il met régulièrement en place des ateliers de formation au détournement pour des groupes activistes en Europe.

 

Durée de la vidéo: 20mn

En synthèse

Le Collectif Brandalism est une équipe internationale d’artistes qui utilise les panneaux d’affichage publicitaire en extérieur pour critiquer la publicité en tant que telle, et alerter l’opinion sur des questions sociales phagocytées par la publicité.

Brandalism récupère ces espaces pris par le marché publicitaire et imposés sans notre consentement, pour en libérer le message. Habituellement, ces pratiques impliquent de travailler avec des artistes pour produire des œuvres, qui sont ensuite incorporées sans autorisation, par des équipes d’activistes de type « guerilla », dans des panneaux publicitaires1.

La motivation qui a mené au développement de Brandalism a émergé en 2011 durant des troubles sociaux au Royaume Uni, qui ont donné lieu à des émeutes et au pillage de magasins par des jeunes marginalisés, volant des biens de consommation assez chers. Une enquête du gouvernement britannique sur les raisons de ces émeutes mettait alors la publicité au premier plan2. Notre analyse était que nous vivions dans une société de consommation dominée par la publicité, et qu’il y avait aussi un système de classes avec une exclusion financière importante. Cette situation menait certaines personnes à ne pas pouvoir acheter ces biens dont on leur avait dit et répété qu’ils en avaient besoin. C’est dans ce contexte que nous avons commencé à réfléchir et mettre en place des actions de culture jamming (contre culture) sur les effets de la publicité et du consumérisme sur nos sociétés3.

Un autre enjeu préoccupant pour nous est l’impact de la publicité sur le climat à travers la promotion du consumérisme. Nous avons identifié la COP21 à Paris en décembre 2015 comme un moment stratégique pour monter une campagne et dénoncer le rôle de la publicité dans la crise climatique4. Pour la COP21, notre réseau d’artistes a produit 80 œuvres différentes, que nous avons imprimées sur 600 posters. Nous avons travaillé avec des groupes ‘antipub’ parisiens préexistants et expérimentés, qui ont assurés la plupart des installations des posters dans l’espace public5. L’action a donné lieu à un traitement médiatique important dans le monde entier, diffusant y compris la vidéo courte autoproduite autour de l’action6. Durant son intervention, Peter est également revenu sur quelques-unes des 80 affiches produites par Brandalism pour cette campagne7.

Au delà des interventions directes, Brandalism souhaite aussi démocratiser l’accès aux espaces publicitaires, afin que d’autres groupes puissent à leur tour se les accaparer pour y défendre leurs idées. La mondialisation a permis de standardiser les panneaux publicitaires à travers le monde, Brandalism a donc crée des kits avec les clés nécessaires pour ouvrir ces panneaux. Ils ont également produit un manuel8 dans lequel ils expliquent aux gens comment procéder pour avoir accès à ces espaces publicitaires. Nous travaillons par ailleurs avec divers groupes d’activistes au Royaume uni, notamment des groupes de militants parfois marginalisés, pour parler de communication visuelle et leur permettre d’avoir plus de visibilité. A Londres, nous avons travaillé avec des groupes d’adolescents de couleur qui voulaient parler du manque d’acteurs et d’actrices noirs à l’affiche dans l’industrie cinématographique9.

« Certaines des interventions que nous faisons visent à critiquer l’industrie publicitaire dans son ensemble, tandis que d’autres interventions visent plutôt à utiliser les espaces publicitaires pour parler d’autres enjeux. Ces deux dynamiques fonctionnent très bien l’une avec l’autre »

On peut ainsi considérer que certaines des interventions que nous faisons visent à critiquer l’industrie publicitaire dans son ensemble, tandis que d’autres interventions visent plutôt à utiliser les espaces publicitaires pour parler d’autres enjeux. Ce sont deux dynamiques qui fonctionnent très bien l’une avec l’autre.

Notre collectif considère aussi que l’industrie publicitaire n’est pas un bloc uniforme, mais un espace dans lequel il y a beaucoup de facettes, et notamment des gens ayant des compétences créatives et qui aspirent à d’autres choses que ce qui leur est demandé en agence. Dans le cadre de l’opération « SwitchSide »10 (« changez de bord »), nous avons voulu leur tendre la main pour qu’ils mettent leur compétences à notre disposition pour des actions de communication de la société civile.

Dans ce cadre, nous avons travaillé sur les 25 plus grandes agences publicitaires du Royaume Uni. En octobre 2016, nous avons installé des posters devant leurs bureaux à Londres11, les invitant à visiter notre site sur lequel les attendait une lettre plus longue, visant à les convaincre de mettre leurs compétences artistiques et leur créativité à notre service. Nous leur avons aussi envoyé des lettres imprimées, faisant ainsi du marketing direct et détournant à nouveau un outil publicitaire traditionnel. Ce projet a ensuite engagé un processus assez long qui s’appelle « AA » pour Advertisers Anonymous12 dans le cadre duquel nous travaillons actuellement sur plusieurs projets de Brandalism, et de concert avec ces personnes venues des agences.

Nous soutenons enfin le développement de groupes d’activistes sur les enjeux liés à la publicité dans le monde entier. Nous le faisons avec des alliées comme RAP et SPIM en France, et d’autres dans le monde, en développant le réseau Subvertisers international13. Nous avons organisé une semaine d’action en 2017 puis en 2018, avec des groupes venant de plus de 40 villes dans près de 20 pays différents14. Ces groupes peuvent être de type assez variés,15 mais nous travaillons tous ensemble car nous pensons que l’industrie de la publicité est mondiale, et que nous avons besoin nous aussi d’avoir un réseau mondial et un impact mondial. La France est un des acteurs les plus avancés sur le débat autour des enjeux de la publicité, et il est vraiment important d’avoir sa voix critique et ses tactiques qui peuvent inspirer le reste du monde.

Notes

1 Ces équipes qui installent les posters utilisent les mêmes uniformes que les installateurs officiels des afficheurs, et elles opèrent en plein jour, sur les grands panneaux publicitaires comme sur les plus petits dans les arrêts de bus.

2 L’enquête affirmait que 85 % des répondants considéraient que la publicité mettait trop de pression sur les jeunes, 77 % qu’il y avait trop de publicités pour les marques destinées spécifiquement aux jeunes, et 70 % qu’il était nécessaire de prendre des mesures pour limiter la quantité de publicité visant les jeunes.

3 A l’époque, les artistes contactés ont pris des publicités par exemple de la marque Nike (sachant que ce sont des magasins comme Foot Locker, où les chaussures coûtent assez cher, qui ont été pillés pendant les émeutes) et nous avons fait les premières interventions dans l’espace publique. Différents artistes, souvent issus du street art et utilisant des techniques proches du graffiti, ont alors essayé de traiter différents sujets liés à la publicité (par exemple sur la question du sexisme et des stéréotypes de genre) et ont produit de nombreux de projets très intéressants.

4 Voir la page dédiée à cette campagne sur le site de Brandalism : http://brandalism.ch/projects/cop21-climate-talks/

5 Certains groupes d’activistes ont installé leurs affiches juste devant le Bourget en banlieue de Paris, lieu des négociations de la COP21, pour faire en sorte d’être vu par les personnes qui participaient à la conférence.

6 Cette vidéo de Brandalism sur la COP21 a été projetée durant la présentation au colloque SPIM, et est inclue dans la vidéo de la table ronde sur la communication des ONG, à la minute 46. Voir également sur le site de Brandalism: http://brandalism.ch/projects/switch-sides/

7 Parmi les 80 œuvres produites, on trouvait notamment :

– Détournement d’une publicité de Volkswagen, qui dit « Nous sommes désolés de s’être fait attraper », en allusion aux scandales du Diesel qui ont éclatés en 2015.

– Détournement d’une publicité d’ExxonMobil : « Nous connaissions les impacts de notre activité, mais publiquement nous avons dit qu’il n’y en avait pas » ;

– Détournement d’une publicité d’Air France, sponsor de la COP21 : « Lutter contre le changement climatique ? Bien sûr que non, nous sommes une compagnie aérienne » ;

– Production par des mouvements français d’un poster sur l’état d’urgence, sur le fait que des manifestations étaient interdites au moment de la COP21, et que c’est la planète qui aurait due être déclarée en état d’urgence ;

– Certaines affiches étaient des parodies de politiciens connus, comme les britaniques James Cameron, ou Georges Osborne qui a aussi travaillé dans l’industrie pétrolière.

8 Le manuel coûte 3 euros et ne génère pas de profits.

9 Avec ces jeunes, nous avons détourné des affiches de cinéma (Harry Potter, Titanic, etc) que nous avons ensuite installées dans des espaces publicitaires. Suite à l’action, des jeunes gens d’à peine 17 ans parfois se sont retrouvés dans les médias pour parler de l’action.

10 Voir sur le site de Brandalism: http://brandalism.ch/projects/switch-sides/

11 Sur ce poster mis dans les espaces publicitaires situés en face de ces grandes agences de publicité, il était écrit en substance « Nous voyons votre art partout dans la ville, et nous aimerions qu’il ait plus de sens, nous avons besoin de votre créativité, nous aimerions beaucoup vous parler », avec l’adresse de la page internet de l’opération.

12 L’acronyme et le nom déroulé se veulent un jeu de mots avec « Alcoolique Anonyme ».

13 Lien vers le site de Subvertisers International : https://subvertisers-international.net/ .

14 Nous avons eu des activités à Buenos Aires, New York, en Australie, dans différentes partie de l’europe, en France, en Allemagne, en Belgique, en Espagne et d’autres pays. Au Royaume Uni, il y a des réseaux plus locaux que Brandalism, et nous travaillons par exemple beaucoup avec le réseau londonien Special Patrol Group.

15 Ces groupes, qui peuvent être formellement membres du réseau SI, ou qui participent à la semaine annuelle de mobilisation, peuvent être de type assez différents, avec des groupes des désobéissance civile, des groupes qui récupèrent les espaces publicitaires, des groupes de défenses des droits, etc.

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