Francesco Turino est professeur associé au département économique de l’Université d’Alicante (Espagne). Chercheur en macroéconomie, diplômé d’un PhD à l’Université de Pompeu Fabra (2009), spécialisé sur les fluctuations économiques agrégées et la croissance à long terme. Il est co-auteur de deux études sur le lien, dans l’économie américaine, entre consommation, travail et publicité des multinationales.
Analyses de Francesco Turino
Professeur associé au département économique de l’Université d’Alicante (Espagne)
Version doublée en français. 13mn
Version originale en anglais. 13mn
La question de savoir si la publicité est capable de stimuler, non pas la consommation des produits d’une entreprise en particulier, mais la consommation de la société ou d’un pays en général, est débattue depuis après la seconde guerre mondiale. L’enjeu est important car dans les pays les plus industrialisés, la consommation est la principales composantes du PIB, donc d’un point de vue économique, la publicité pourrait être un outil de stimulation de la croissance. Néanmoins, un tel effet macroéconomique de la publicité soulèverait également des questions sur son intérêt positif ou négatif en termes socio-économiques.
Les études empiriques sur ce sujet sont confrontées à une difficulté d’accès aux données de l’entreprise, souvent qualifiées de confidentielles. Les chercheurs ont donc été amenés à travailler sur les données agrégées, macroéconomiques, mais cela pose alors la difficulté de manipuler des modèles extrêmement complexes pour décrire de manière fiable la réalité. En effet, il reste difficile de savoir comment la publicité fonctionne au niveau des individus, si elle apporte une information, ou s’il s’agit plutôt de persuasion (bien que des recherches semblent montrer que la majorité des publicités ne contiennent aucune information),1 l’un et l’autre ayant des effets très différents lorsqu’il s’agit d’élaborer des modèles macroéconomiques.
Les premières analyses dans les années 1970 (Solow 1968 et Simon 1970) considèrent que la publicité est de nature concurrentielle et suppose que si la hausse des investissements publicitaires augmente la demande pour tel produit, cela résulte du « vol » de consommateurs aux entreprises concurrentes dans un marché à taille égale (« spread-it around hypothesis »). De ce point de vue, la publicité n’a pas d’effet sur la consommation agrégée, et le niveau d’investissement publicitaires ne constitue pas un enjeu important vis-à-vis des agrégats macro-économiques. Depuis nous savons en tout cas que les messages affectent les décisions individuelles, et nous devons penser à réguler le contenu des messages.
Selon la théorie de Galbraith, la publicité a peut être aussi un effet de stimulation économique (« market enhancing effect ») car elle augmente la connaissance/conscience (« awareness ») qu’ont les consommateurs de l’existence de tel ou tel produit. Dans ce cas, la demande n’augmente pas nécessairement parce que des consommateurs ont été volés aux concurrents, mais possiblement parce que de nouveaux consommateurs sont entrés sur le marché. Alors par l’effet de la publicité, non seulement la répartition des parts de marché entre concurrents évolue, mais également la taille totale du marché sur lequel le niveau de consommation global augmente.
Les premières analyses étudiant la corrélation à court terme entre dépenses publicitaires et cycles économiques (Blank 1962 – Robert et Nicosia 1981) trouvent que la publicité augmentent la consommation globale. Puis des études ont été menées avec d’autres outils statistiques beaucoup plus sophistiqués, mais ne sont parvenus qu’à des résultats mitigés, et des corrélations et non des relations de causalité.2 Ce sujet n’a ensuite quasiment plus été exploré, jusqu’à la crise économique de 2008 où il a suscité un regain d’intérêt.
» Le besoin additionnel de consommation stimulé par le niveau élevé de publicité aux Etats Unis, est financé par un accroissement du temps de travail des individus. Cela pose la question de la place du bien-être (« welfare ») dans de tels modèles économiques très publicitaires »
Le rapport du World Federation of Advertisers de Janvier 2017 trouve une causalité positive entre dépenses publicitaires et niveau de consommation, et il va nettement plus loin en se positionnant surtout et très clairement sur le rôle de la publicité comme outil de croissance, avec des multiplicateurs « très optimistes », voire « déraisonnables ».3 Selon Turino, la constitution de modèles avec des données agrégées est très complexe, et s’il est possible que la publicité ait un impact sur la consommation, il faut être très précautionneux pour juger de ses mécanismes et de ses effets, a fortiori avant d’aborder la question des multiplicateurs de croissance. De fait, il considère que l’étude du WFA et ses conclusions semblent avoir plusieurs faiblesses4. De plus, même si la publicité générait une telle croissance du PIB, il faudrait en connaître les mécanismes pour savoir si cela est bon ou non pour un pays.
Les travaux de Molinari et Turino en 2018 adoptent une approche totalement différente en estimant un modèle d’équilibre général (« estimated general equilibrium model ») très sophistiqué,5 et ils trouvent effectivement un rôle positif de la publicité sur l’augmentation de la consommation, mais dont la traduction en terme de croissance est nettement inférieure aux résultats du WFA.
Surtout, un intérêt de leur méthode est qu’elle permet d’isoler les mécanismes par lesquels la publicité affecte les individus, et donc son rôle sur les agrégats économiques. Ils trouvent notamment que le besoin additionnel de consommation stimulé par le niveau élevé de publicité aux Etats Unis, est financé par un accroissement du temps de travail des individus, ce qui pose naturellement la question de la place du bien-être (« welfare ») de tels modèles économiques très publicitaires. Une précédente recherche des mêmes auteurs identifiait le rôle du crédit et l’endettement comme moyen de financer la consommation additionnelle stimulée par la publicité.
Finalement, au niveau mondial, les dépenses en publicité sont assez élevées.6 La publicité augmente certainement la consommation et est peut être même un outil de croissance, mais cela ne signifie pas nécessairement que la publicité serait bonne pour l’économie et la société. Ses effets soulèvent des enjeux important en terme de bien être de la population, mais aussi sur la problématique du réchauffement climatique.
1 Sur la nature informative ou persuasive des messages publicitaires, des recherches ont essayé de quantifier combien d’éléments information économique et de signaux persuasifs sont contenus dans les publicité. Ils indiquent que presque 90% des messages publicitaires aux USA, en particulier à la télévision, ne contiennent aucune information. D’autres part, des études montrent qu’au Brésil, la taille des familles et le nom des enfants a évolué en lien avec les modèles mis en avant dans les publicités télévisées.
2 Celle de Jung et Seldon (1995) trouvent à nouveau une corrélation positive, tandis que celle de Granger (1981) conclut que si la publicité peut influencer positivement la consommation, il est tout aussi possible que ce soit la hausse de la consommation qui influence l’augmentation des dépenses publicitaires (« reverse causality effect »). Dans tout les cas, les résultats sont mitigés car seule une corrélation est identifiée entre publicité et consommation, et non pas une relation de causalité.
3 Pour la France, le rapport du WFA trouve que 1 % d’augmentation des dépenses publicitaires de manière permanente augmenterait le PIB de 7,5 %, et le multiplicateur serait de presque 20 % aux Etats Unis. Selon Francesco Turino, « si cela est vrai, nous avons résolus les problèmes économiques du monde… ».
4 Selon Turino, la méthode statistique complexe utilisée dans le rapport semble neutraliser le problème de la causalité inversée, mais sans établir une critique approfondie, il semble qu’il y ait également un problème statistique car le nombre de pays n’est pas assez élevé pour avoir une très bonne estimation, les résultats paraissent quantitativement trop important, et les mécanismes précis (comment la publicité affecte les consommateurs) qui conduisent aux résultats présentés ne sont pas connus.
5 Nous modélisons en termes mathématiques le « outsourced consumer » et l’entreprise, et on les laisse interagir selon les termes de l’équilibre de l’offre et de la demande. Là où dans ce modèle il y a des des dépenses publicitaires qui affectent « outsourced decision/consumer decision », ce que nous obtenonssont des indices/preuves (« evidence ») en faveur d’un effet de stimulation du marché (« market enhancing effect »). Cela indique qu’aux Etats Unis, la publicité stimule la consommation en général.
6 Aux Etats Unis, les investissements publicitaires représentent plus de 2 % du PIB ( et ne représente que 0,8 % de la force de travail totale, ce qui est très peu), en Europe on a des chiffres à peu près similaires.
Doctorant en Histoire de la Pensée économique à l’Université Lumière Lyon II
Professeur associé au département économique de l’Université d’Alicante (Espagne) Accéder aux vidéos & synthèses
Président co-fondateur de l’association Halte à l’obsolescence programmée
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