Des « consultants politiques » mettent en œuvre des activités d’influence allant bien au-delà du lobby stricto sensu (qui serait lié à la seule écriture de la loi), en utilisant notamment les relations-médias voire des campagnes publicitaires. L’approche selon laquelle le lobby consiste à donner des informations « neutres et objectives » aux seuls décideurs est erronée, car il s’agit bien d’influencer tout le champs politique, et au-delà les consciences.
Dans une approche gramscienne, les consultants politiques font appel à des moyens pluridisciplinaires, afin de mener la bataille culturelle en créant des majorité d’idées au services de leurs clients. Compte-tenu du rapport de force asymétrique entre l’influence des entreprises, et celle des ONG ou le travail d’enquête des journalistes, il s’agit d’assumer une conception agonistique de la démocratie, qui ne serait non pas le consensus mais le conflit. Par ailleurs, les entreprises (mais aussi les ONG) doivent assumer qu’elles défendent un projet de société au nom d’une idéologie, et la confrontation politique qui s’en suit.
Concernant le « coup » sur le travail du dimanche (relaté par Luc Hermann), Joshua Adel indique que les mêmes entreprises avaient échoué auparavant avec des stratégies de lobby stricto-censu, car le travail idéologique nécessaire en amont n’avait pas été mené. Il distingue ainsi le fait de porter une revendication strictement catégorielle, généralement à travers un chantage à l’emploi exprimé par des dirigeants d’entreprises, d’une situation dans laquelle le débat est positionné sur la question de la liberté de travailler, et où ce sont des salariés « spontanés » qui mènent l’offensive dans les médias. Sur le terrain idéologique du deuxième cas de figure, on aboutit à ce que « le gouvernement refuse aux individus le droit de travailler quand ils le veulent », et il devient possible de faire passer une conquête néolibérale pour une conquête d’émancipation. Par la suite, la traduction de l’enjeu dans la loi devient presque accessoire. Ce travail gramscien et ses stratagèmes doit néanmoins être assumés, sous peine d’être dénoncés dans les 48-72h par certains médias ou ONG.
Un exemple du recours à la publicité pour une campagne d’influence : l’affaire du rachat d’Alstom par General Electrics (GE). Face au refus du gouvernement français de vendre Alstom, l’entreprise américaine eut recours en 2014 à une campagne d’influence comprenant un spot publicitaire. Celui-ci indiquait, entre les lignes, combien GE a une histoire française depuis une plus d’un siècle (voir Verbatim dans la vidéo à 41mn 30). Diffusé stratégiquement (notamment avant une intervention du 1er Ministre au JT…), on y retrouve l’argumentaire classique d’une entreprise étrangère qui essaye de racheter un fleuron national, mais en l’occurrence de manière grossièrement dissimulée, voire insultant l’intelligence des citoyens. Or la confrontation démocratique suppose d’assumer sa position et d’essayer de convaincre des citoyens difficiles à gouverner.