Samuel Sauvage est président et co-fondateur de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée. Économiste et diplômé de Sciences Po Paris, Samuel exerce en tant que consultant en économie circulaire (Auxilia). Chargé de cours à Sciences Po Lille sur l’économie sociale et solidaire, il est également auteur, avec Laetitia Vasseur, de l’ouvrage « Du jetable au durable » (Gallimard, 2017).
Analyses de Samuel Sauvage
Président de l’association Halte à l’obsolescence programmée
L’équilibre de notre économie est basé sur la croissance économique permanente, qui se nourrit d’obsolescence. Pour la soutenir, soit on vend plus cher les produits, soit on vend plus de produits. Sur ce second point, lorsque les citoyens sont déjà équipés ou suréquipés, il ne s’agit plus de satisfaire des besoins, mais au contraire de les renouveler. Précisément, les stratégies d’Obsolescence Programmée (O.P.) visent à rendre les produits plus rapidement obsolètes, afin d’augmenter la fréquence de renouvellement des achats.
Le développement de ce phénomène répond notamment à la financiarisation de l’économie : les multinationales ne se contentent pas d’être rentables, car elles doivent assurer un retour sur investissement (ROI) très élevé pour satisfaire les actionnaires.
Il existe diverses stratégies d’O.P. (non exclusives les unes des autres) rendant les produits obsolètes. On peut identifier :
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L’obsolescence technique: la panne matérielle et/ou la difficulté à la réparer, conçues délibérément
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L’obsolescence logicielle, liée aux mises à jour : l’appareil fonctionne encore, mais les logiciels de plus en plus puissant ou l’incompatibilité avec les pièces annexes le rendent de moins en moins adapté, puis obsolète
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L’obsolescence psychologique: le produit remplit également encore sa fonction, mais les phénomènes de modes amènent le consommateur à ne plus être satisfait, souvent pour des raisons esthétiques
L’obsolescence psychologique (O.Psy.) est peut être la principale stratégie : elle constitue la partie la plus subtile, la moins visible de l’O.P., mais sans doute la plus efficace pour renouveler nos achats, et elle repose notamment sur la publicité. Les définitions de l’ OP que donne Brooks Stevens (un pilier du design industriel aux États Unis) met effectivement en avant les aspects psychologiques de l’obsolescence.1
L’O.Psy est notamment alimentée par une accélération des mécanismes d’innovation, qui sont mis en scène comme des ruptures de type révolutionnaire, et qui ne sont en réalité souvent que des microajustements. Cette accélération entre en contradiction avec la possibilité d’avoir des innovations véritablement qualitatives, notamment en lien avec le durée de vie des produits.2
Mais il ne s’agit pas seulement que nos produits durent plus longtemps, il faut aussi en produire moins. Le modèle du renouvellement permanent des achats est en effet insoutenable dans la mesure où il fait pression sur des ressources rares. L’une d’entre elles est l’attention des individus. Toute notre attention ne peut pas être accaparée par la consommation, il y a des questions de lien social qui doivent être mis en avant.
» L’obsolescence psychologique est peut être la principale stratégie : elle constitue la partie la plus subtile, la moins visible de l’obsolescence programmée, mais sans doute la plus efficace pour renouveler nos achats, et elle repose notamment sur la publicité »
D’un point de vue environnemental, l’essentiel de l’impact des produits que nous consommons se trouve dans la phase d’extraction, de fabrication des produits.3 Ces sont des coûts cachés qui sont considérables. Pour le cas des métaux rares par exemple (cobalt, silicium), on va en manquer d’ici quelques dizaines d’années, mais on fabrique de plus en plus de biens qui en ont besoin… C’est également un enjeu climatique, puisque l’accélération de la production de biens correspond à la hausse du niveau de consommation d’énergie, et donc à la hausse des émissions de gaz à effet de serre qui rendent le climat de plus en plus incertain.
Finalement, la question du sens de l’économie doit être posée. Le fait d’avoir des appareils qui cassent ou de se voir générer de nouveaux besoins en permanence, génère probablement plus de frustration que de bonheur, et ce n’est peut être pas cette croissance là que l’on va souhaiter collectivement.
Dans le même temps, une ressource devient de moins en moins rare: ce sont les déchets, dans un cycle production de masse – consommation de masse – déchets de masse. Les options dans le recyclage et dans les améliorations des performances ne permettront pas de maintenir une croissance illimitée, et la première réponse reste la sobriété. Le rôle de la publicité dans la stimulation de la consommation est donc problématique dans la mesure où l’objectif est de réduire notre pression sur nos ressources.
On peut se poser la question d’une mutualisation des coûts liés à la publicité, car sa contribution à un modèle de croissance par la consommation – qui ne profite qu’à une minorité – aura des conséquences dommageables sur l’immense majorité des gens. Or cela représentera des coûts, en terme de bien être et d’impôts. Nous sommes favorables à une interdiction, en tout cas une limitation, de la place de la publicité dans la société, et sans doute en priorité dans notre espace public.
Il ne m’apparaît pas vraiment nécessaire de mettre la publicité au service d’une transition vers la sobriété, dans la mesure où nos désirs sont déjà orientés vers autre chose que l’accumulation des biens matériels. Il devrait peut être plus s’agir de réguler la publicité pour ne pas qu’elle manipule nos désirs, et d’avancer vers la sobriété en limitant sa place dans la société. On sait que l’entreprise équitable Veja vend au même prix que Nike avec des emplois corrects, car ils économisent notamment sur les frais de publicité.
La transition mènera peut être à moins d’emplois publicitaires, mais il y aura toujours besoin d’un peu de publicité, sur les questions culturelles notamment, ou économiquement pour informer. Après c’est un débat démocratique qu’on doit avoir sur quel type d’information on veut avoir et quel type de publicité on veut éviter.
1 Selon Clifford Brook Stevens, l’ O.P. consiste à « instiller dans l’esprit du consommateur l’envie de posséder quelque chose d’un peu plus neuf, d’un peu mieux, et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ». Il dira également : « nous faisons de bons produits, nous incitons à les acheter, puis l’année prochaine nous introduisons délibérément quelque chose qui rendra ces produits démodées, obsolètes ».
2 Apple sort désormais deux produits par an, donc nous avons tous les 6 mois des mises en scène d’innovation de rupture. Ne serait-ce pas une véritable rupture d’avoir un téléphone qui tient 10 jours sans être branché, ou de doubler la durée de vie de nos appareils, y compris si cela réduit la croissance économique telle qu’elle est mesurée aujourd’hui ? Dans le même ordre d’idée, pourquoi n’aurions-nous pas une garantie plus longue: nos frigos 10 ans, téléphones 5 ans, pourquoi pas des pièces détachées durant toute la durée de vie ? Il faut aussi rendre la réparation moins chère (elle est souvent plus chère que le neuf…). Il y a beaucoup de possibilités en terme de politiques publiques : politique fiscale, TVA plus basse, crédit d’impôt.
3 Pour fabriquer un smartphone de 200g, il faut 70 kilos de matière première fossile.
Doctorant en Histoire de la Pensée économique à l’Université Lumière Lyon II Accéder aux vidéos & synthèses
Professeur associé au département économique de l’Université d’Alicante (Espagne) Accéder aux vidéos & synthèses
Président co-fondateur de l’association Halte à l’obsolescence programmée
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