À travers le temps, les activités publicitaires se sont déployées tous azimuts dans la société sans les règles nécessaires pour encadrer ce développement. Il est devenu impératif de réaffirmer quels sont les espaces, les supports et les produits qui, pour respecter des libertés individuelles ou préserver l’intérêt général, ne peuvent être l’objet d’activités publicitaires.
Encadrer les méthodes et les espaces publicitaires
Pour un meilleur encadrement et plus de transparence dans les pratiques du secteur publicitaire
Protéger nos espaces publics, sanctuariser le secteur public
La « liberté de réception » est le corollaire de la liberté d’expression : elle octroie le droit de recevoir ou ne pas recevoir les messages en société, en particulier dans les espaces publics ou recevant du public. Son respect suppose :
De mettre fin à l’omniprésence des supports publicitaires tolérés dans l’espace public, en créant des espaces sanctuarisés, et dans le reste de la ville, en limitant leur taille et leur densité moyenne (par exemple, des affiches de taille maximale 50x70cm et de densité moyenne d’1 pour 2000 habitants en zone urbaine, comme pour l’affichage associatif).
D’interdire, ou du moins d’encadrer sévèrement les publicités intrusives, agressives et/ou polluantes (souvent par leur support) : publicités rétroéclairées, écrans animés visibles depuis l’espace public, tags au sol, publicités sur le patrimoine et les monuments historiques (bâches géantes ou nommage) ;
Le respect du droit de non-réception des citoyens dans les espaces personnels, la lutte contre la pollution de la publicité directe et la protection de la santé publique, notamment le développement des plus jeunes, supposent :
De réaffirmer la sanctuarisation de l’éducation nationale en annulant la circulaire établissant le « code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire », et d’ouvrir un débat relatif
aux enjeux des partenariats entre les universités et les grandes entreprises en particulier pour certains secteurs industriels ;
De renforcer les médias du service public, en leur assurant une indépendance financière totale vis-à-vis des annonceurs. Ces politiques doivent être mises en oeuvre en s’appuyant sur la mobilisation d’autres financements (y compris au moyen de la refiscalisation du marché de la publicité) pour garantir les bonnes conditions de mise en oeuvre des missions de ces médias.
Protéger nos jeunes, notre « attention », nos données et nos espaces personnels
Le respect du principe constitutionnel de neutralité vis-à-vis des messages commerciaux dont bénéficie le secteur public suppose :
D‘engager une politique de protection des plus jeunes, en interdisant les stratégies publicitaires et marketing dirigées vers les enfants, notamment par le biais des programmes jeunesse ; en luttant contre l’augmentation de leur temps d’exposition aux écrans y compris en limitant rigoureusement leur présence dans l’enseignement primaire et secondaire ;
De renforcer la protection des données personnelles et le respect du consentement éclairés des individus en soutenant la mission de la CNIL pour une application rigoureuse de la directive RGPD, et en l’habilitant à lutter contre les stratégies de capture de l’attention par le design persuasif. Plus généralement, la construction d’une vision politique à long terme pour une économie des données personnelles au service de l’intérêt général sera nécessaire ;
De réduire la pollution des prospectus dans les boîtes aux lettres en appliquant l’article R633-6 du Code pénal qui sanctionne l’abandon de déchets dans un lieu privé, puis de normaliser le principe « Ouipub » n’autorisant la publicité dans les boîtes aux lettres et par démarchage téléphonique qu’aux citoyens qui auront explicitement donné leur accord préalable.
Protéger nos jeunes, notre « attention », nos données et nos espaces personnels
Des 4×4 de ville ou des plats industriels trop sucrés, la consommation de masse de certains produits peut donner lieu à une pollution significative et/ou être source de problèmes de santé publique. Une réduction de l’exposition à la publicité et au marketing sur les produits les plus problématiques est indispensable pour faire évoluer les comportements. En 2019, Singapour établissait une interdiction générale de publicité pour les boissons trop sucrées. En France, plusieurs décennies après que la Loi Evin a interdit la publicité pour le tabac et l’alcool pour protéger la santé publique, le Conseil constitutionnel confirmait en 2020 le caractère constitutionnel de la protection de l’environnement, qui pouvait ainsi également justifier sous certaines conditions des atteintes à la liberté d’entreprendre.
De nombreuses associations réclament aujourd’hui l’interdiction, totale ou partielle, de la publicité et du marketing pour certains produits, notamment les suivants qui sont tous l’objet de dépenses de communication commerciale particulièrement importantes :
Les SUV et autres véhicules motorisés individuels particulièrement lourds dont le taux d’émission est supérieur aux objectifs de l’UE horizon 2030 (soit 59g de CO2 par km) ;
Les voyages en avion à très haute intensité carbone, comme les trajets sur une courte distance (vols intérieurs) ou les voyages sur une courte durée (aller-retour pour une fin de semaine) ;
Les offres de la restauration rapide, qui sert ses repas dans des conditionnements jetables et produit massivement des déchets tout en étant source de problèmes sanitaires (obésité) ;
Les produits trop gras, trop sucrés, trop salés dont l’impact est négatif pour la santé publique, notamment en ce qui concerne l’obésité infantile persistante à l’âge adulte ;
Les bouteilles d’eau en plastique jetables, sources importantes de déchets et particulièrement inutiles dans un pays où l’accès à l’eau potable est garanti ;
Le textile d’habillement, et plus précisément l’industrie de la fast fashion dont le modèle de renouvellement très rapide des produits est responsable d’émissions massives
de CO2, d’une consommation d’eau insoutenable et de conditions de travail inacceptables ;
Les smartphones, que 88 % des français changent lorsqu’ils fonctionnent encore35: les impacts sociaux et environnementaux sur tout le cycle de vie sont dramatiques.
Protéger nos jeunes, notre « attention », nos données et nos espaces personnels
L’analyse du marché publicitaire et des activités de communication se heurte à des difficultés d’accès aux données qui ne permettent pas une véritable transparence sur leurs pratiques d’influence, indispensable d’un point de vue démocratique. Le répertoire des « représentants d’intérêts » mis en place dans le cadre de la loi Sapin 2 repose sur une vision étroite et restrictive des activités de « lobbying », qui n’inclut pas les activités de communication et de relations publiques ni les dépenses visant à influencer l’opinion.
Il paraît nécessaire de :
Rendre publiques et accessibles les principales informations relatives aux dépenses et activités de communication des entreprises, en instaurant dans le rapport financier une nomenclature unique permettant d’accéder à un certain niveau de détail ;
Imposer la déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de l’ensemble des dépenses et activités engagées dans des campagnes d’influence politique par les entreprises (sur le modèle du Lobby Act en vigueur aux Etats-Unis) : relations presse, relations publiques, communication et publicité corporate, mobilisations numériques (community management en anglais), études d’opinion, sponsoring.