Dans un contexte d’urgence climatique, la publicité est plus que jamais sur le banc des accusés, et pas seulement parce que nombre de ses méthodes sont polluantes. Grâce à elle, des industries fortement émettrices de gaz à effet de serre sont capables de nous influencer pour nous pousser à acheter de grosses voitures qui consomment plus, ou à prendre allègrement l’avion sans souci des conséquences pour la planète. Pire, la communication commerciale est un ressort de l’« obsolescence marketing » : elle donne lieu à des phénomènes plus profonds de surconsommation de masse. La publicité, symbole et vecteur d’un modèle de développement dont l’« insoutenabilité » est de plus en plus évidente.
Publicité produit et marketing promotionnel
La publicité au service des industriels, pas des consommateurs
Pour une entreprise, la question de savoir si la publicité fonctionne ne fait pas discussion : à court terme, une campagne publicitaire augmente clairement les ventes de l’annonceur. Mais le rôle économique plus large de la publicité dans l’économie est davantage débattu.
Pour augmenter ses ventes, la campagne publicitaire de l’annonceur ne fait-elle que convaincre, en informant des consommateurs déjà désireux, par exemple de barres chocolatées, de choisir leur marque plutôt que celles des concurrents ? C’est ce que défend la théorie néoclassique, dominante, d’une publicité de nature informative et concurrentielle.
Mais si l’on estime que la publicité ne se limite pas à véhiculer des informations et que, de par sa nature persuasive, elle vise surtout à influencer directement les goûts et les aspirations des individus, donc à leur faire éprouver de nouveaux besoins, les choses changent du tout au tout. La publicité fait alors plus que simplement redistribuer les consommateurs de barres chocolatées entre les marques les plus compétitives. En influençant directement les goûts d’autres citoyens, elle fait aussi grossir les rangs des adeptes de barres chocolatées, au bénéfice de toutes les marques à la fois. Dès lors, les campagnes publicitaires ne relèvent pas seulement de stratégies concurrentielles, mais auraient au contraire une fonction coopérative : toutes ces campagnes cumulées participeraient ensemble à attirer de nouveaux consommateurs sur un marché des barres chocolatées en croissance.
L’enjeu est fondamental.
Si la publicité se borne à informer, sur la qualité des produits, les consommateurs rationnels qui projettent un achat, alors les individus restent souverains dans leurs choix. Dans ce cas, les entreprises n’ont d’autres possibilités que d’adapter leur offre à la demande des consommateurs qui, in fine, sont ceux qui orientent l’économie. Dans ce cas, le rôle des pouvoirs publics peut être minime.
En revanche si, au-delà d’informer, la communication commerciale influence les individus en dehors de leurs choix conscients, qu’elle travaille notamment sur le désir même de l’acte d’achat, elle peut mener à des phénomènes de consommation de masse qui n’auraient pas eu lieu sans stimulation publicitaire. Dès lors, ceux qui orientent réellement l’économie, ce sont les industriels : des marques capables de produire ce qu’elles désirent et de faire massivement désirer ce qu’elles produisent, avec potentiellement de lourdes conséquences écologiques. Le rôle du politique devient alors vital pour remettre l’économie au service des consommateurs et de l’environnement.
Si la publicité peut avoir un rôle sur le niveau de consommation global, l’enjeu de la mesure des dépenses publicitaires est important, et par là celui du périmètre de ce que l’on considère comme « publicité ». Il faudrait en réalité parler de « communication commerciale ». Au-delà de la publicité au sens strict, c’est-à-dire l’achat d’espace dont la fonction est de faire connaître et désirer des produits, l’effort des entreprises s’appuie sur des stratégies complémentaires dites de marketing promotionnel. Celles-ci visent plus spécifiquement le déclenchement de l’acte d’achat du consommateur. Ensemble, ces dépenses de communication commerciale des grandes entreprises totalisent plus de 31 milliards d’euros chaque année en Francei.
Autre effet paradoxal de la surenchère publicitaire : ses coûts finissent par être supportés par les ménages. La répercussion des frais publicitaires sur les coûts de production entraîne une hausse des tarifs pour les consommateurs qui, à l’achat, en assument au moins une partie – jusqu’à 15 % pour des produits de grande consommation étudiés aux Etats-Unisii.
Des études récentes sur les effets de la publicité dans des secteurs économiques sensibles comme les médicaments, l’alcool ou la malbouffe confirment que les dépenses publicitaires augmentent non seulement les ventes des annonceurs – potentiellement au détriment de leurs concurrents – mais également le nombre total de consommateurs sur le marché en question.
Dans ce contexte, ne peut-on pas se poser la question du fondement du succès de certains secteurs qui investissent massivement et de manière permanente dans la publicité ? Est-il encore responsable de s’en tenir à la fameuse « souveraineté du consommateur » pour éviter de se confronter à la question des conséquences d’activités néfastes dont la croissance repose en grande partie sur la publicité ?
Ce constat d’un effet d’entraînement de la publicité au niveau sectoriel déplace nécessairement la problématique à l’échelle macro-économique : cette consommation additionnelle dans les secteurs à plus forte pression publicitaire se fait-elle au détriment d’autres secteurs économiques, ou au contraire, les dépenses publicitaires dans tous les secteurs auraient-elles ensemble un effet macroéconomique, capable de stimuler le niveau de consommation global d’un pays ? Lorsque les chiffres portent sur des économies puissantes comme celles des pays du G20, chaque dixième de point du niveau de consommation se traduit immédiatement par l’extraction de tonnes de ressources naturelles additionnelles, par des millions de conteneurs en plus arrivant quotidiennement par bateau, et des millions de tonnes de déchets de plus à retraiter…
La question macroéconomique du rôle de la publicité vient d’être l’objet d’une étude de référence publiée en 2018i. Portant sur le marché américain entre 1976 et 2006, elle conclut que la publicité constitue le facteur direct d’une hausse de 6,79 % du niveau global de consommation du pays (distingué de la « croissance » : voir encadré pg 7) en moyenne sur 30 ans. Cela signifie qu’ une partie colossale de la consommation de la première économie du monde résulterait directement du niveau élevé de publicité.
La recherche contemporaine paraît converger vers la validation de l’hypothèse selon laquelle la publicité est un facteur direct de hausse de la consommation au niveau sectoriel et global ; autrement dit, d’un phénomène de surconsommation de masse.
La question qui se pose alors est la suivante : comment les ménages, dont les salaires ont eu tendance à stagner sur les décennies passées, s’organisent-ils pour financer cette hausse permanente de la consommation ? La réponse est double : d’une part par le crédit (qui pose la question de la financiarisation de l’économie et de ses impacts), et d’autre part par l’augmentation tendancielle du temps de travail, au détriment du temps de loisirs. Paradoxalement donc, les ménages travaillent plus pour (continuer à) consommer plus, tout en ayant moins de temps pour profiter des fruits de leur consommation.
Comment la publicité contribue à l’industrialisation de l’obsolescence
Comprendre les mécanismes de surconsommation suppose de conduire une analyse critique des besoins. Il s’agit d’affronter, dans une société du gaspillage, la question politique de la part des besoins « qualitatifs » qui seraient légitimes et collectivement soutenables.
Les besoins dans les pays riches ont évolué avec les stratégies industrielles et commerciales. Progressivement, les espaces de conquête de nouveaux consommateurs se raréfient en raison d’une tendance lourde de saturation des marchés. La stimulation de la demande s’appuie dès lors de manière croissante sur des stratégies de renouvellement accéléré de la consommation des produits : des stratégies d’obsolescence.
Par définition, aucun produit ne résiste éternellement au temps. Dès lors la notion d’obsolescence renvoie au travail, mis en place à échelle industrielle, qui organise la réduction de la durée de vie des produits. Ce phénomène commence à être identifié dans ses dimensions techniques et matérielles : l’obsolescence programmée de l’imprimante qui s’enraye prématurément, la machine à café dont les pièces de rechange ne sont plus disponibles, l’ordinateur dont les logiciels, très vite, ne sont plus assez puissants…
Mais comme l’indique l’Öko-Institut suite à une étude approfondie en 2015, « aujourd’hui, la plupart des appareils électriques et électroniques sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore »i. L’obsolescence peut en effet moins résulter de la défaillance programmée d’un produit que d’un travail d’influence sur le consommateur : une obsolescence stimulée par le marketing. Ce phénomène est la première cause d’achat d’un téléphone mobile aujourd’hui.
La stimulation de l’obsolescence repose sur l’articulation de stratégies industrielles autour d’un même modèle fonctionnel de référence. Sur la base de celui-ci, des innovations mineures sur le plan technologique et d’autres sur le design permettent de décliner des « nouveautés ». Déployées en gammes et en séries, ces variantes sont progressivement mises sur le marché pour faciliter le développement de dynamiques de mode. Les lancements commerciaux successifs les mettent en scène afin de provoquer un rejet accéléré des produits similaires déjà acquis, et de stimuler le désir pour des produits neufs équivalents. Vieille d’un siècle, avec les gammes de véhicules commercialisées par General Motors aux Etats-Unis, cette stratégie n’a jamais été aussi prégnante qu’aujourd’hui dans presque tous les secteurs commerciaux.
L’obsolescence marketing est le modèle industriel même de la fast fashion : en 2017, ce sont plus de 39 vêtements par habitant qui ont été mis sur le marché en Franceii. Si le secteur du vêtement mise surtout sur l’évolution esthétique, celui de l’électroménager s’appuiera davantage sur l’articulation d’offres commerciales avec des modifications technologiques. Sur les marchés aussi saturés que les précédents du smartphone ou de la voiture, ce sont tous les aspects – technologiques, esthétiques et commerciaux – qui sont mobilisés à travers la publicité.
L’empreinte écologique directe des activités publicitaires
En plus d’encourager la surconsommation, les activités publicitaires sont elles-mêmes voraces en énergie et directement sources de pollution.
Les prospectus dans les boîtes aux lettres en sont une illustration évidente. Dans un contexte de baisse généralisée de l’utilisation du papier, celle des imprimés publicitaires non adressés continuent de croître avec un marché annuel de près de 3 milliards d’euros. En volume, ils représentent un quart du papier consommé en France, plus de 30 kg par foyer, et un coût de retraitement équivalent à 200€ annuel par ménagei. En incluant les courriers publicitaires envoyés à nos noms et adresses, il faudrait probablement doubler ces chiffres.
Mais il faut aujourd’hui compter aussi avec la consommation énergétique de la publicité numérique, premier marché publicitaire de la planète. Le fonctionnement des infrastructures liées au monde numérique représente 6 à 10 % de la consommation électrique mondialeii. Or le rôle de la publicité ciblée est important dans cette consommation : elle est à l’origine d’un très grand nombre de flux d’information numérique (emailing, spams, etc.), auxquels s’ajoutent les opérations en arrière-plan des mécanismes d’enchères automatisées. En 2016, la publicité en ligne a été source de l’émission de 60 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 60 millions d’allers-retours Paris-New York en avioniii.
Dans les grandes agglomérations, les conséquences de la pollution lumineuse sur les habitants, la faune et la flore, commencent à être reconnues. Aux panneaux d’affichage rétroéclairés s’ajoutent désormais des écrans publicitaires numériques qui combinent agression visuelle, pollution lumineuse et gaspillage des ressources. Avec deux faces numériques, ces panneaux consomment 13 fois plus que le plus énergivore des mobiliers urbains non numériquesiv.
i B. MOLINARI et F. TURINO, 2018, « Advertising and aggregate consumption : a Bayesian DSGE assessment », Economic Journal, vol. 128, n°613.
i Baromètre Unifié du Marché Publicitaire (BUMP), « Le marché publicitaire 2018, un maintien de la croissance » [Non daté], ca. 2019.
ii J.B. FOSTER, H. HOLLEMAN, R.W. MCCHESNEY et I.L. STOLE, 2009, « The sales effort and monopoly capital », Monthly Review, 60 (11)
ii Eco-TLC, Les chiffres clés 2018 de la filière,[Non daté] ca. 2019.
i ADEME, 2016, Etude d’évaluation des gisements d’évitement, des potentiels de réduction de déchets et des impacts environnementaux évités, p.20 ; UFC-Que choisir, 2018, « Enquête prospectus publicitaires, Face au flot grandissant, le Stop pub ».
ii L. CAILLOCE, 2018, « Numérique : le grand gâchis énergétique », CNRS Le Journal, 16 février 2018.