Publicité, humains et sociétés

Analyses de Alexandra Balikdjian

Professeure de psychologie de la communication à l’Université Libre de Bruxelles

Biographie

Alexandra Balikdjian est professeure de psychologie de la consommation à l’Université Libre de Bruxelles. Spécialiste du comportement du consommateur et principalement des comportements d’achat impulsif. Consultante spécialisée en comportement du consommateur et en atmosphère des espaces de vente.

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En synthèse

« L’homme ne peut vivre sans consommer » (Meynaud, 1965)

La recherche a modélisé des comportements de consommation, mais l’individu est bien loin de ce modèle d’un être rationnel guidé par ses besoins. Il est guidé par ses désirs, ses sensations, ses ressentis. Nous vivons dans une société de consommation et de sur consommation, nous consommons beaucoup (trop pour notre portefeuille, trop pour notre planète), et la consommation est devenue un des moyens principaux d’expression de soi. On consomme pour montrer, se raconter, on se construit au travers d’actes de consommation. On développe son idéal du moi.

La société qui nous entoure va nous donner des images à penser au travers d’injonctions plus ou moins directe. Les médias sont des vecteur important d’images à penser, il faut prendre la publicité au sens large (films,séries, Instagram…)

Pour mieux comprendre ces comportements irrationnels du consommateur, j’ai mené des 100aine d’entretiens avec des consommateurs « normaux » et des « consommateurs de l’extrême ». Tous m’ont parlé de leurs expériences, de leurs histoire de consommation. Certains m’ont parlé d’achat planifié, d’achat réfléchis, d’autres d’achat plaisir, d’achat coup de cœur, d’achat coup de tête.

J’ai voulu tiré des facteurs qui pourraient expliquer ces comportements d’achats. Et surtout voir si il existe des éléments prédicteurs d’un comportement ou d’un autre.

En psychologie, les comportements impulsifs sont connectés négativement. Tel le reflet d’un manque de contrôle de soi, une certaine incapacité, un manquement… Mais les entretiens que j’ai menés m’ont montré également une autre dimension de ces comportements impulsifs. Un aspect enthousiasmant, exceptionnel, reflétant une rencontre tout à fait singulière entre les désirs d’un consommateur et un produit.  J’ai voulu tenter de mettre en lumière si certains traits de personnalités, disposition particulière ou situation pouvaient prédire si ce comportement très instinctif, très affectif, pouvait donner lieu à des coup de cœur ou de terribles erreurs.

 »  La consommation est devenue un des moyens principaux d’expression de soi. On consomme pour montrer, se raconter, on se construit au travers d’actes de consommation. On développe son idéal du moi. »

La capacité d’un individu à contrôler ses impulsions dépend en partie de variables stables liées à l’individu et en partie de variables liées à la situation dans laquelle l’individu ressent l’impulsion. Il existe des variables personnelle, dont deux sont utilisées en priorité pour expliquer la capacité à résister à une impulsion : le contrôle de soi1 et « l’élasticité de l’ego »2. L’exercice de ce contrôle dépend de l’interaction entre la personnalité de l’individu et la situation.3

D’autres variables situationnelles sembleraient également influencer la capacité à contrôler ses impulsions, et ce, quelle que soit la personnalité de l’individu. Parmi les variables situationnelles qui expliquent qu’un individu est plus ou moins capable de résister à un moment donné à une impulsion, se trouvent essentiellement la disponibilité des ressources cognitives4, la situation affective5 et l’exercice précédent ou simultané du contrôle.6

L’analyse théorique indique que les variables situationnelles exercent une large influence dans la naissance d’impulsions d’achat. Elles pourraient également agir sur le passage de l’impulsion d’achat à l’achat au travers de leur action sur les capacités de contrôle des individus. Les études empiriques indiquent d’une part que l’instauration d’un état d’âme impulsif, découlant de la situation d’achat, est un préalable à de nombreux achats impulsifs. D’autre que les variables situationnelles influencent le passage de l’état d’âme impulsif à la réalisation d’un achat impulsif.

Le consommateur est influencé en permanence par les images qui l’entourent. Parfois lassé de la publicité classique, on ne l’évite pas. La publicité est partout et inévitable. Du point de vue d’un psychologue, la publicité est une forme de communication qui cherche à attirer l’attention, avec un but incitatif : créer le besoin, susciter le désir, donner des images à penser, montrer comment le groupe d’appartenance ou le groupe social souhaité consomme.

Pour conclure, j’invite le consommateur à se connaître et à reconnaître ses ressentis, car c’est dans la complexité que la consommation se déroule. L’impulsion vient toujours du consommateur, de ses envies et de ses désirs, jamais du produit, le consommateur est donc acteur.

Notes

1 Le contrôle de soi correspond aux dispositions générales d’un individu à moduler et contenir ses impulsions, désirs et sentiments, à inhiber l’action et à s’isoler de facteurs de distraction provenant de l’environnement (Muraven et Baumeister, 2000). Les individus qui possèdent un fort niveau de contrôle personnel ont tendance à repousser de manière générale toutes les gratifications, même si elles ne se font pas au détriment de leurs intérêts à long terme.

2 L’élasticité de l’ego rend quant à elle compte de la capacité d’un individu à résister à un désir immédiat uniquement si cette personne craint que cela aille à l’encontre de ses intérêts à moyen et long terme, c’est-à-dire paraît déraisonnable (Block et Block, 1980; Klohnen, 1996 ; Funder et al. 1983 ; Funder et Block, 1989). Dans le cas inverse, il cèdera à ses impulsions.

3 Ainsi, un individu qui possède un fort niveau de contrôle personnel tentera de résister à ses impulsions quelle que soit la situation. Un individu qui possède une forte élasticité de l’ego pourra ne pas tenter d’exercer son contrôle s’il estime que le report de la gratification ne lui serait d’aucun bénéfice (il peut ainsi se laisser guider par ses émotions dans certaines situations où il recherche des sensations, des gratifications….).

4 Shiv et Fedorikhin (1999) mettent en évidence qu’il est plus facile pour un individu de repousser une gratification immédiate aux dépens d’intérêts à plus long terme lorsqu’il dispose de ressources cognitives, c’est-à-dire qu’il peut facilement se concentrer et mettre en oeuvre un raisonnement. Dans le cas où les ressources seraient déjà mobilisées par une autre tâche, la décision est plus fortement influencée par l’affect déclenché par le produit initiateur de l’impulsion que par des cognitions relatives à ce produit. À l’inverse, si de telles ressources sont disponibles, l’influence de l’affect pourra être contrebalancée par d’éventuelles cognitions dissonantes et il sera plus facile de résister à une tentation. Un état affectif intense (humeur euphorique ou dépressive, état d’excitation, de fort plaisir…) peut contraindre et dominer les ressources cognitives.

5 Fry (1975) étudie plus particulièrement l’influence de l’état affectif sur la capacité à résister à une tentation. Il montre que, chez les enfants, un état affectif positif facilite la résistance à la tentation alors qu’un affect négatif la rend plus difficile. Résister à une impulsion est en effet une expérience pénible et y céder apporte momentanément du réconfort, du soulagement. Ainsi, un individu qui se trouve dans un état affectif indésirable (fatigue, stress) préfèrera parfois céder à une impulsion pour se sentir mieux, même si à long terme les conséquences de son acte peuvent avoir un effet pire que ce qui avait créé initialement l’humeur négative (Baumeister et Heatherton, 1996 ; Klohnen, 1996 ; Tice et al., 2001). On constate que, en réponse à des situations de stress, les individus ont tendance à boire ou à manger plus que d’habitude. Des individus qui avaient arrêté de boire ou de fumer, ou qui s’étaient engagés dans un régime, sont plus susceptibles de reprendre ces activités dans des périodes de stress. Leur préoccupation prioritaire est de se sentir mieux rapidement, quel qu’en soit le danger à plus longue échéance. Un consommateur qui se sera livré à un achat impulsif pour combattre une humeur dépressive, s’il se sent soulagé dans les minutes ou les heures qui suivent l’achat, risque d’éprouver des remords peu de temps après, remords qui pourront réactiver l’humeur dépressive initiale. Ce cercle vicieux peut, chez certains individus, déboucher sur des comportements de consommation

6 La théorie du contrôle de soi en tant que « force » soutiendrait l’hypothèse que la difficulté à résister à ses impulsions dans des situations de stress tiendrait à une diminution personnel du niveau de contrôle. Le modèle du contrôle de soi « en tant que force » considère que le contrôle personnel est une ressource limitée à un moment donné (Baumeister et Heatherton, 1996 ; Muraven et al., 1998 ; Muraven et Baumeister, 2000). Comme un muscle, le contrôle a une puissance restreinte et si l’on a dépensé de l’énergie sur une tâche donnée, on disposera de moins d’énergie pour la tâche suivante. Après un effort de contrôle au cours duquel un individu a puisé dans sa réserve d’énergie, il disposera d’un contrôle moins élevé s’il doit ensuite procéder à un second acte d’autorégulation consécutif au premier, ou s’il doit procéder à deux actes de contrôle simultanés. Ceci explique que dans certaines situations, un individu n’arrive pas à se contrôler alors qu’il aurait contraint sans peine ce même comportement dans une autre situation. En revanche, cette diminution de ressource n’a un effet qu’à court terme. Comme un muscle, la capacité de contrôle retrouve son niveau initial au bout d’un certain temps et peut même se développer si l’individu exerce fréquemment son contrôle. Ainsi, les individus deviendraient plus performants quand ils essaient plusieurs fois de se débarrasser d’une addiction (Prochaska et DiClemente, 1984, 1986). Ceci expliquerait que le niveau d’impulsivité des individus a tendance à diminuer avec le temps pour peu qu’ils exercent leur contrôle personnel (Green, Fry et Myerson, 1994).

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BEC SANDERSON
Responsable de recherches à l’institut Public Interest Research Center (PIRC -UK)

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DIDIER COURBET
Professeur à l’université d’ Aix- Marseille, spécialiste des effets neuro psychosociaux de la communication

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VIRGINIE SASOON
Responsable du labo du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information

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ALEXANDRA BALIKDJIAN
Professeur de psychologie de la consommation à l’Université Libre de Bruxelles

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