Communication et blanchiment d’image

Analyses de Mégane Ghorbani

Responsable de campagnes pour l’association foodwatch

Bio et vidéo

Mégane Ghorbani était responsable de campagnes chez foodwatch en 2018 lors de son intervention au colloque SPIM. Auparavant, elle avait mené des campagnes visant à dénoncer les inégalités de genre et les abus de droits économiques et sociaux perpétrés en France et à l’international. Au début de l’année 2019, Camille Dorioz a pris le relai de Mégane pour faire entendre la voix et l’intérêt des consommateurs∙rices face à l’industrie agroalimentaire et aux responsables politiques.

 

Durée de la vidéo: 10mn

En synthèse

Aujourd’hui un enfant sur six est en situation de surpoids ou d’obésité, ce qui génère des maladies chroniques comme le diabète1. foodwatch2 pointe que les industriels de la malbouffe ont une responsabilité, car ils vendent des produits trop gras, trop sucrés, trop salés, qui sont peu favorables à une alimentation saine. Le souci principal est qu’ils les font passer pour plus sains qu’ils ne le sont, et ce à travers deux procédés de blanchiment d’image des produits.

Le premier procédé consiste à déployer une communication et un marketing cool et attractif, en direction des enfants ; le second consiste à s’opposer à toute forme de transparence sur les qualités nutritionnelles des produits.

Concernant le marketing en direction des enfants, foodwatch a notamment épinglé la gamme Lulu L’Ourson commercialisée par le groupe Mondelez, qui cible clairement les enfants (foodwatch a produit une courte vidéo sur le sujet)3 à travers la publicité, la mise en scène d’un ourson, l’étiquetage, l’organisation de fêtes d’anniversaires pour des enfants de 4 ans…

Il existe de nombreux autres exemples de marques et d’industriels qui emploient diverses techniques de marketing qui ciblent les enfants. Par exemple, pour le produit Caprisun commercialisé par la marque Coca Cola European Partners, produit très sucré et pas sain contrairement aux apparences4, il y a une activité forte sur les réseaux sociaux, et il est proposé à des enfants de devenir ambassadeurs pour la marque. Ils font également du sponsoring et des partenariats avec des événements qui touchent des enfants, comme pour la sortie du film Petit Spirou pour lequel Caprisun offrait des places gratuites aux enfants. Pour sa part, la marque Brossard qui vend des gâteaux très sucrés et très gras, offre gratuitement un magnet à l’achat d’un paquet, et a organisé sur internet la plateforme « Troc’N’Magnet », permettant aux enfants détenant ces magnets de les échanger entre eux.

Les groupes agroalimentaires Nestlé, Coca et Mondelez sont tous signataires d’un engagement au niveau européen, le EU pledge, qui engage à ne pas communiquer auprès des enfants de moins de 12 ans. Or on voit que dans la pratique, ils ont des activités marketing qui ciblent clairement les enfants, ce qui montre que sur ces enjeux, l’autorégulation ne fonctionne pas.

A l’occasion de la loi agriculture et alimentation, qui faisait suite aux Etats généraux de l’alimentation qui se sont tenus en 2017, foodwatch a notamment poussé pour inscrire dans la loi cette interdiction de cibler les enfants pour les produits trop gras/sucrés/salés. L’amendement en ce sens a été refusé en mai 2018 à la première lecture à l’ assemblée nationale5, mais on a aussi observé divers signaux positifs. En effet, l’amendement en question a été porté par des députés issus de divers partis dont le parti majoritaire, et les médias ont couvert le sujet, y compris le sujet de la pression des lobbies… lobbies dont certains grands médias tributaires des recettes publicitaires publicitaires ont fait parti…6

Sur le même sujet de la protection des enfants, il est important de suivre également les débats autour de la loi dite « Gattolin » entrée en vigueur en janvier 2018, en lien possiblement avec la réforme audiovisuelle qui s’annonce en France. En effet, cette loi interdit, sur les chaînes publiques, la diffusion de publicités 15 mn avant/après/pendant les programmes destinées aux enfants. La question est donc aujourd’hui posée au gouvernement de savoir pourquoi la publicité reste autorisée autour des replay de ces mêmes programmes sur Youtube et Internet.

« Les industriels de la malbouffe blanchissent leur image par une communication et un marketing cool et attractif en direction des enfants, et en s’opposant à toute forme de transparence sur les qualités nutritionnelles des produits. »

Concernant l’enjeu de la transparence, il est aujourd’hui très compliqué d’avoir une information claire sur la qualité nutritionnelle des produits qu’on achète. C’est une difficulté pour la majorité des consommateurs et consommatrices, à moins d’être capable de déchiffrer le fameux « tableau de valeurs nutritionnelles », qui se trouve généralement sur le coté de l’emballage.

« C’est compliqué et ce n’est pas sans raison ». Pour faciliter l’accès à l’information, la question d’introduire un nouveau logo nutritionnel plus simple, et sur la face avant de l’emballage, s’est posé au niveau européen à la fin des années 2000 et fût tranchée en 2011. Mais l’industrie agroalimentaire et son lobby a dépensé un milliard d’euros entre 2006 et 2010 pour bloquer, avec succès, cette tentative7.

Depuis, la France s’est doté d’un dispositif propre, le Nutriscore, qui est un logo (situé à l’avant de l’emballage) permettant en un clin d’œil d’avoir une note de A à E afin de connaître les qualités nutritionnelles d’un produit. Ce logo a été adopté en France, mais son application repose sur les démarches volontaires des industriels.

Or au moment de l’adoption du Nutriscore et son annonce officielle, un groupe d’industriels – Nestlé, Unilever, PepsiCo, Coca, Mondelez et Mars – a annoncé vouloir lancer son propre logo alternatif, l’ENL (Evolved Nutrition Label). L’ ENL permet d’avoir, pour un même produit, moins de voyants rouges8, et donc d’éviter à l’industrie de reformuler les recettes des produits trop malsains, tout en créant de la confusion dans les rayons et en désinformant les consommateurs. Mars s’est par la suite retiré, admettant que ce logo pouvait induire en erreur, mais les autres industriels ont indiqué leur volonté de le mettre en place sur leurs marques pour la fin de l’année 2018.

Pour une information claire sur les qualités nutritionnelles des produits, foodwatch réclame un logo obligatoire, développé indépendamment de l’industrie agroalimentaire, et qui soit scientifiquement validé.

Notes

1 Selon l’intervenante, le diabète tue aujourd’hui 34000 personnes/an/France.

2 foodwatch est une association indépendante qui ne reçoit ni financements public, ni financements liés à l’industrie agroalimentaire, ce qui lui permet de garder la liberté de ton et d’expression qui lui convient dans son activité, et de notamment pratiquer le name and shame sur des cibles industrielles et les autorités.

3 Lien vers la page de foodwatch hébergeant la vidéo : https://www.foodwatch.org/fr/s-informer/topics/malbouffe/petition-lulu-l-ourson/ . La vidéo de foodwatch sur Lu est également disponible sur la vidéo de la table ronde à 1h00mn40sc.

4 Malgré un packaging mettant en avant les fruits, une poche de Caprisun contient très peu de fruits, et plus de sucre qu’un Fanta Orange. Voir la page dédiée au Caprisun sur le site de foodwatch : https://www.foodwatch.org/fr/s-informer/topics/arnaque-sur-l-etiquette/dernieres-actus/capri-sun-beaucoup-trop-sucre-pour-les-enfants/

5 Au moment où se déroule le colloque SPIM, le processus n’est donc pas fini puisqu’il reste donc encore une lecture au Sénat, puis le texte reviendra à l’ Assemblée nationale a priori pour adoption finale. Le dossier sera suivi par foodwatch.

6 Le président des chaînes de télévision TF1, FranceTV, M6 ont en effet écrit au gouvernement pour faire part de leur préoccupation lié à un amendent sur le même sujet (proposant l’introduction du Nutriscore dans les publicités pour les produits alimentaires), ce qui a également fait l’actualité et montre que le sujet monte dans l’opinion publique.Voir l’article du monde sur le sujet : https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/05/27/l-assemblee-nationale-rejette-l-interdiction-des-publicites-pour-aliments-trop-gras-et-l-etiquetage-nutritionnel-obligatoire_5305464_1651302.html

7 Selon un rapport de 2010 de l’ONG de vigilance du lobby à Bruxelles, Corporate europe observatory. Lien vers la source : https://corporateeurope.org/news/red-light-consumer-information

8 La vidéo de la présentation montre quelques exemples des différences d’évaluation pour la barquette Lu, la brioche Brossard et le Nutella, entre le le logo Nutriscore et le logo ENL.

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