Communications alternatives des ONG

Analyses de Pierre-Yves Gosset

Directeur et délégué général de l’association Framasoft

Bio et vidéo

Après avoir travaillé en tant qu’ingénieur d’études pour différentes universités ainsi qu’au CNRS, Pierre-Yves Gosset est aujourd’hui directeur de Framasoft, où il coordonne notamment les campagnes « Dégooglisons Internet » et « Contributopia ».

 

 

Durée de la vidéo: 13mn

En synthèse

Framasoft1 est une association d’éducation populaire qui traite essentiellement les sujets du « libre » au sens large, c’est à dire du logiciel libre, de la culture libre, et des services libres. Nous parlerons ici essentiellement des services libres, et de comment s’y prend une petite association pour résister principalement à des entreprises comme les GAFAM, qui pèsent plus de 500 milliards et se développent avec le soutien de gouvernements.

Framasoft considère que les GAFAM exercent sur le peuple une domination technique2, économique3 et culturelle4. Sur la question publicitaire et d’influence, ces entreprises mettent en place un capitalisme de surveillance5, évolution du capitalisme qui utilise la collecte des données au sens large6 pour exploiter les utilisateurs d’internet et en faire du profit. En protégeant leurs intérêts et en diffusant un modèle de vie sur la planète, ces entreprises promeuvent une capacité à entretenir la société de consommation avec des effets plus important qu’auparavant.

Suite aux révélations d’Edward Snowden, Framasoft a mené de 2014 à 2017 une campagne intitulée « Degooglisons internet », dont l’idée première était de sensibiliser les gens à ces enjeux de triple domination7, et la seconde de proposer des services alternatifs à ceux des GAFAM (comme par exemple Google-pad, Google-agenda, Change.org, Dropbox, etc.). De manière intense ces dernières années, Framasoft a donc crée et proposé (et non vendu) divers services dénués de publicités et décentralisés8. Cette campagne est terminée, et Framasoft continuera désormais à produire « seulement » quelques services alternatifs clés9. La question du financement de ces activités n’est pas simple, Framasoft ne vit que des dons de particuliers, et des modes de financements ou de contributions alternatifs sont parfois recherchés10.

Actuellement, Framasoft accueille environ 500 000 visiteurs par mois, ce qui est déjà beaucoup pour une association qui n’a pas l’intention de grossir. Dans ce contexte, l’organisation a décidé d’essaimer son modèle, au travers d’un collectif appelé Chatons – Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Il s’agit par là de pousser à la création d’associations qui vont proposer le type de services que propose Framasoft mais de façon locale, comme une sorte d’ « AMAP du logiciel libre »11. En 18 mois, une soixantaine de structures ont vu le jour, y compris à l’international12.

Par ailleurs Framasoft a considéré que son rôle de militant du libre n’est pas que dans la production d’outils, mais aussi dans l’outillage, l’information, l’éducation et l’accompagnement à ces outils. L’association s’est ainsi récemment réorientée vers une campagne appelée ContribUtopia13, qui vise à ce que la communauté du logiciel libre se mette mieux au service du tissu de la société civile militante. La campagne se développe à travers deux objectifs. Il s’agit d’une part de faire prendre conscience qu’internet et le logiciel libre sont des communs, et que ce n’est que par la contribution de toutes et de tous que des alternatives qui fonctionnent dans le temps pourront être mises en place. Il s’agit d’autre part d’avancer sur la question du passage de la société de consommation à la « société de contribution »14.

« Par la campagne ContribUtopia, Framasoft vise à ce que la communauté du logiciel libre dépasse la production d’outils pour mieux entrer dans l’accompagnement et pour se mettre au service du tissu de la société civile militante »

Dans le cadre du débat avec le public, PYG a apporté des éléments de réponses (ci-dessous) sur plusieurs sujets, notamment sur la question de comment les ONG d’influence peuvent articuler l’utilisation des outils alternatifs notamment les réseaux sociaux, avec leurs besoins de visibilité pour leurs activités de plaidoyer.

A Framasoft, il y a une conscience des difficultés que posent, pour être visible, la non utilisation des outils privateurs de libertés, et l’association ne veut pas non plus exclure de sa communication les gens qui sont sur ces « médias sociaux »15. La solution technique mise en œuvre par Framasoft par exemple pour Twitter, est de lier son compte16 Mastodon à un compte sur Twitter, pour que les gens puisse y trouver l’information copiée-collée, sans que Framasoft n’ait à animer un compte et à communiquer sur Twitter. PYG explique que les outils libres de communication fonctionnent plutôt bien, tandis que le problème est avant tout celui de la masse, selon la loi de Metcalfe17. Les alternatives à Facebook et Twitter, respectivement Diaspora et Mastodon, doivent avoir environ 2 millions de membres, ce qui est loin de faire concurrence aux entreprises américaines.

De plus, le passage à des outils et médias alternatifs est un cheminement. Il s’agit pour les organisations d’investir d’autres médias sociaux selon un planning qu’elles choisissent, avec des données qu’elles choisissent, et des messages qu’elles choisissent sans devoir faire du « clickbait »18.

Enfin, rappelant le dicton selon lequel « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », Pierre-Yves indique que Framasoft ne considère pas que la visibilité soit un objectif central pour son action19, et explique que l’association ne vise pas à grossir et se méfie des dynamiques de concentration du pouvoir20. C’est notamment pour cette raison qu’a été lancée l’initiative d’essaimage Chatons, et qu’elle réoriente et concentre son action vers le milieu associatif de l’éducation populaire et de l’Economie sociale et solidaire. Dans ce sens, l’alternative à Youtube, Peertube qui est aussi un média social, fonctionne assez bien puisque les vidéos se connectent les unes avec les autres : par exemple, on y trouve un « Framatube », mais aussi un tube de « conférences gesticulées», un tube de « Datagueule », un tube de « La Quadrature Du Net », etc.

Notes

1« Fra » est pour français, « ma » pour mathématique. L’association repose sur 8 salariés permanents et environ 20 bénévoles.

2 Domination technique non seulement sur internet, mais aussi dans nos poches avec les smartphones, de plus en plus sur les montres, frigos, voitures, etc. Ces acteurs sont en train de décider quel sera l’internet de demain en terme de fonctionnalités.

3 En 2016, les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales étaient Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

4 Ces entreprises qui travaillent sur les outils et les comportements des personnes connectées à travers le monde, sont nord américaines (basées dans la Silicon Valley ou à Seattle) et dirigées par une classe socioculturelle précise, qu’on peut résumer grossièrement par des hommes blancs designers ayant la trentaine (à noter que plusieurs dirigeants de ces entreprises sont par ailleurs transhumanistes). Ce sont eux qui vont décider de comment une personne au Zimbabwe va pouvoir utiliser son application sur smartphone. On peut penser que les GAFAM ont réussi ce qu’Hollywood avait déjà fait dans une moindre mesure à partir des années 50, c’est à dire à diffuser un modèle de vie .

5 Terme inventé et promu par l’économiste Shoshana Zuboff.

6 Est présenté un graphique représentant les différentes données personnelles qui sont collectées dans divers champs : identité, relation, communication, enregistrement gouvernementaux, santé, etc.. Tous ces champs là sont aujourd’hui couverts par les GAFAM, que ce soit par Facebook, Android, Gmail, etc.

7 Chaque année ont été menées une centaine d’interventions dans des MJC, des colloques, des projections-débats, etc.

8 C’est à dire que chacun a accès au code source du service pour pouvoir – ou en se faisant par une personne compétente- l’installer chez lui ou au sein de son organisation.

9 Nous avons crée des dizaines de services alternatifs chaque année durant la campagne Dégooglisons internet, qui s’est terminée en octobre 2017. Il reste le « problème Gmail » dont la création d’un service alternatif coûte trop cher. Framasoft travaille toujours sur un Peertube, alternative à Youtube ; en 2018 une alternative à Change.org devrait voir le jour, puis en 2019, une alternative à Meetup.

10 Pour le financement de Peertube, l’alternative à Youtube, il est fait appel à la générosité du public, et il est envisagé que des entreprises intéressées puissent participer.

11 AMAP signifie Association pour le maintien d’une agriculture paysanne/de proximité. L’objectif est qu’il y ait des centaines de structures du type de Framasoft en France, pour que chacun puisse aller voir le « Chatons du coin » qui hébergera votre Peertube ou autres services pour votre organisation, aussi simplement que vous allez voir le boulanger du coin.

12 En Angleterre, au Québec, en Belgique, au Portugal, et on commence à voir avec l’Italie et l’Espagne.

13 Lien vers le site de la campagne : https://contributopia.org/fr/

14 C’est là un terme cher au philosophe Bernard Stiegler.

15 Framasoft ne parle pas de « réseaux sociaux » mais de « média sociaux ».

16 Cela peut se faire par un petit script informatique.

17 La loi de Metcalfe indique que la valeur du réseau dépend du nombre de gens qui sont dedans et qui y participent.

18 Le « clickbait » correspond aux diverses stratégies des médias menant les internautes à cliquer sur des liens, ce qui permet d’augmenter les recettes publicitaires. Par exemple, la production de contenus du type « 5 bonnes raisons pour… », etc.

19 Pierre-Yves évoque d’ailleurs sa préoccupation vis-à-vis d’une tendance nouvelle dans la société civile, autour des associations qui se développent d’abord par la communication avant même l’investissement dans l’action de terrain. Dans le cadre d’un échange avec le public, il a ensuite indiqué que ce commentaire n’avait pas vocation à s’appliquer en particulier aux associations donc précisément l’objet social est la sensibilisation (et dont l’investissement est nécessairement fortement lié à la capacité de communication).

20 Il explique que le milieu du logiciel libre, et du commun, est un milieu ayant de fortes difficultés avec la construction du pouvoir individuel pour une personne ou une structure. Framasoft a toujours travaillé avec ces mouvements là dans lesquels l’appropriation et la propriété n’est pas la bienvenue.

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