Communications alternatives des ONG

Analyses de Erika Campelo

Responsable de communication et centre des ressources pour l’association VoxPublic

Bio et vidéo

Erika Campelo accompagne les associations et collectifs dans le déploiement de leur stratégie de communication et numérique. Auparavant, elle a travaillé 10 ans pour le réseau Ritimo où elle sensibilisait le monde associatif à l’internet libre, réseau qu’elle représentait au sein du Forum mondial des médias libres.

 

 

Durée de la vidéo: 12mn

En synthèse

Créée en décembre 2016, VoxPublic est une jeune association1 qui a pour but de soutenir des initiatives citoyennes de lutte contre les discriminations, les injustices sociales, et la corruption, les trois thématiques prioritaires de l’association2. Ce soutien porte sur la capacitation3 des acteurs de la société civile, pour renforcer leur influence et l’impact de leurs luttes dans le débat public et vers les décideurs politiques.

Le constat de départ, au lancement de VoxPublic, était notamment que les grosses associations ont des services dédiés de communication et de plaidoyer, mais les petites et moyennes associations qui n’ont pas ou peu de ressources humaines et financières, n’en disposent pas4. Il s’agit donc de répondre à des besoins opérationnels et stratégiques en termes de communication et d’influence.

Le rôle de la communication est crucial dans les activités de plaidoyer et d’influence. En 2017, nous avons accompagné une quinzaine d’associations et collectifs militants sur les thématiques. Nous accompagnons les collectifs dans leur stratégie média (aussi bien pour les médias classiques que pour la communication sur les réseaux sociaux) et de plaidoyer, mais la réflexion s’est également développée autour des outils de communication numérique (sites web, réseaux sociaux, logiciels d’échange sécurisés) qui peuvent être nécessaires à l’action de terrain.

Dans la communication média classique, nous accompagnons nos partenaires dans l’écriture de leurs dossiers de presse et communiqués de presse, nous leur faisons bénéficier des relations privilégiées avec des journalistes, relations sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé.

Nous avons également constaté que les agences de communication et de presse demandaient des sommes importantes pour avoir des fichiers ciblés sur les journalistes et les décideurs.Nous avons donc décidé de construire des annuaires partagés accessibles dans l’espace « centre de ressources » de notre site web. Ces fichiers sont gratuitement mis à disposition du public portent sur les décideurs, les médias, les journalistes et les organisations de la société civile5.

Nous menons donc un travail fastidieux6 pour mettre à la disposition de tous, les contacts à jour des principaux décideurs politiques nationaux (députés, sénateurs, membres des cabinets ministériels), avec leurs comptes Twitter, leurs adresses mail et numéros de téléphone. Pour ce qui est des médias, nous avons construit un fichier avec les contacts de nombreux médias, ainsi que les noms et comptes twitter de plus de 500 journalistes ciblés par domaine de travail.

« Nous avons constaté que les petites et moyennes associations n’ont pas les moyens d’avoir des services dédiés de communication et de plaidoyer, il s’agit donc de répondre à des besoins opérationnels et stratégiques en termes d’influence. Le rôle de la communication est crucial dans les activités de plaidoyer et d’influence »

Concernant la réflexion sur les outils de communication numérique, nous nous sommes tout d’abord rapidement rendus compte qu’il existait chez nos partenaires une demande forte de soutien pour la création de sites internet. Nous essayons d’y répondre dans la mesure où ces sites s’inscrivent comme un outil utile dans une stratégie de plaidoyer. Nous le faisons avec nos compétences internes et parfois avec le soutien des professionnels externes. Nous avons aussi entamé une réflexion, avec les organisations que nous accompagnons, sur la question des logiciels libres d’une part7, et au-delà, sur la question de la technologie dans leur projet associatif et leurs campagnes de plaidoyer. Nous créons donc des ponts avec les associations comme Framasoft ou le monde des Civitech en France (tout du moins avec celles qui font le choix de codes sources ouverts) pour penser le développement de technologies capables de répondre à des besoins concrets des acteurs de terrain8.

Le sujet de la mesure de l’influence ou de l’impact de nos activités est compliqué. En termes d’analyse d’impact, nous n’avons pas de grille d’analyse comme par exemple pourrait en avoir la Commission européenne, et heureusement que nous avons encore cette liberté-là ! Nous pouvons néanmoins chiffrer certaines de nos activités : en 2017, nous avons accompagné la rédaction de 22 communiqués de presse, co-organisé 4 conférences de presse qui ont réuni une cinquantaine de médias, ce qui a débouché sur la publication de 69 articles dans les médias.

Notre objectif final est de participer à des changements sociaux et politiques, ce qui est encore plus compliquer à évaluer.

Par exemple, nous avons travaillé en 2017 avec le Genepi, association d’étudiants qui interviennent en prison, dont une subvention importante avait été coupée par le ministère de la Justice. Nous les avons accompagnés dans tout le processus de plaidoyer9 et la subvention a été réattribuée, c’est un impact important et positif.

Nous animons aussi depuis début 2017 une coalition sur les enjeux de l’état d’urgence. Mesurer les effets discriminatoires de l’état d’urgence par rapport à une population ciblée a été une tâche énorme. Entre temps, la loi inscrivant l’état d’urgence dans le droit commun est passé10, et d’une certaine manière nous avons perdu la bataille. Mais nous continuons à soutenir les acteurs de la société française- associations, avocats – pour dénoncer les dérives discriminatoires que cette loi peut occasionner dans son application.

Dans le cadre du débat avec le public et sur la question du renoncement parfois possible de la société civile face aux modèles dominants de recherche de pouvoir, Erika apporte l’éclairage suivant : « Face au constat que la démocratie est dans les mains de technocrates et des puissants lobbies des multinationales, aidés dans leur influence par de grandes agences disposant des gens très créatifs et bien payés, il y a aujourd’hui une asymétrie de pouvoirs et le rapport de forces est très défavorable à la société civile. Dans ce contexte, il nous paraît important d’apporter des compétences à la société civile pour que la participation à la vie politique dans nos démocraties soit plus inclusive ».

Notes

1 L’association Vox Public est constituée d’une petite équipe de 3 salariés et actuellement 1 stagiaire, et d’un CA avec 7 coprésident.es, entourés d’ une « Agora » d’une cinquantaine de personnes issues des milieux associatifs engagés un peu partout en France. L’ Agora participe avant tout à la réflexion qui nous anime sur les enjeux de société. Le « bras armé » de Vox Public reste l’équipe de permanents. L’association ne reçoit pas de subventions publiques, et son modèle économique repose sur des dons et des fondations privés.

2 Nous avons considéré que ces trois questions minent la société française, et qu’elles sont liées au rejet du politique et à la montée des votes protestataires. C’est une observation que nous faisons de ce qui se passe à l’échelle européenne et récemment en Italie, et nous ne voulons pas que cela arrive en France.

3 Il ne s’agit pas de « faire à la place » des collectifs et des associations, mais de « faire avec ».

4 De plus les grosses associations structurées qui peuvent être très efficaces dans leur plaidoyer ciblé, ne vont pas toujours mettre leurs capacités au service des coalitions avec d’autres (plus petites) associations auxquelles elles participent.

5 Ce fichiers sont évidemment plus complets et pertinents pour ce qui relève des trois secteurs thématiques identifiés par Vox Public. Ainsi, si de nombreuses données peuvent être utiles à diverses luttes, il est évident que sur le sujet de l’écologie, qui ne fait pas partie des 3 thèmes identifiés par Vox Public, les ressources partagées (journalistes, médias, décideurs) seront nettement plus limitées que sur le thème des discriminations qui est au centre du travail de notre association.

6 Les stagiaires apportent une forte contribution dans ce travail fastidieux, et il est réalisé en lien avec l’association Regards Citoyens pour ce qui concerne le travail d’identification des décideurs politiques.

7 Par ailleurs et de fait, le site de Vox Public a été réalisé avec un logiciel libre qui s’appelle Spip.

8 Les outils et les analyses critiques de Framasoft alimentent régulièrement la réflexion menée par Vox Public avec les associations et collectifs partenaires. Par ailleurs, des rencontres appelées «#AssoTech » initiées par VoxPublic ont été organisées avec les acteurs du Civitech et les collectifs qui travaillent sur le terrain des injustices sociales.

9 Nous les avons accompagnés pour adresser des lettres au Ministère de la justice, échanger avec les cabinets et diffuser des tribunes publiques.

10 Il s’agit en l’occurrence de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

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