Les pouvoirs publics ont toute légitimité pour organiser la régulation à des fins d’intérêt général des contenus des publicités, et plus largement des supports de communication des entreprises. Mais à l’heure actuelle, l’outil juridique dont ils disposent n’est mobilisé que pour lutter contre la tromperie sur la réalité du produit, et ce presque exclusivement sur le terrain économique.
Réguler les discours
Pour une régulation indépendante et effective
des contenus de communication
Une autorité indépendante pour réguler les contenus de communication
Seul le secteur du médicament fait exception avec son corpus de règles élaborées par les pouvoirs publics et un organe public de contrôle. Dans ce contexte de quasi-démission des pouvoirs publics, l’organe d’autorégulation de la publicité (« ARPP ») dispose d’une forme d’hégémonie sur les enjeux de régulation des discours. Il réunit les annonceurs, les agences et les régies publicitaires pour guider l’élaboration de règles et les mettre en oeuvre. Au-delà des nombreuses décisions contestables en faveur de publicités très controversées, le contrôle a posteriori des campagnes et l’absence de mécanisme de sanction confirment la faible crédibilité de l’ ARPP pour conduire la régulation dans l’intérêt général. Les pouvoirs publics doivent intervenir à travers la mise en place d’une autorité administrative indépendante de régulation des contenus publicitaires et de communication. Celle-ci doit être à la fois habilitée à développer un corpus de règles, sur la base de grandes orientations déterminées par le législateur, et à organiser leur mise en oeuvre. La mise en place d’un contrôle a priori des contenus constitue un enjeu important pour la lutte contre la surconsommation.
Sur ce point, le fonctionnement de la commission de classification des oeuvres cinématographiques peut offrir un modèle intéressant. Au moins trois grands types de règles devront être mises en place. Tout d’abord, pour remettre l’information au centre de la publicité, elles devront préciser les informations que les publicités seront dans l’obligation de comporter concernant les produits dont elles font la promotion (voir ci-dessous). En second lieu, ces règles devront aussi permettre d’encadrer les discours publicitaires et marketing afin de lutter contre l’obsolescence et l’incitation au gaspillage.
Enfin, à défaut d’une véritable évolution de la jurisprudence vers une interprétation moins restrictive des pratiques commerciales trompeuses, ces règles devront aussi venir renforcer les outils juridiques de lutte
contre la tromperie et le blanchiment de l’image corporate, pour appréhender sérieusement les dérives de la communication RSE.
Remettre l’information au centre de la communication publicitaire
Le rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la publicité de 2014 s’inquiétait de la disparition de sa « fonction informative », qui justifie pourtant, en théorie économique classique, son utilité même. On observe en pratique que la publicité a souvent une forte une tendance à limiter l’information qu’elle transmet au consommateur voire à en être totalement dénuée, comme dans le secteur du luxe. En plus de combattre les excès des discours publicitaires, il faut s’intéresser aussi aux moyens d’organiser le retour de l’information au centre des messages. Les « informations substantielles » listées dans le code de la consommation paraissent offrir une base intéressante. Actuellement, elles servent uniquement à identifier des « omissions » pouvant fonder une pratique commerciale trompeuse, et leur absence n’est pas forcément jugée contraire à la loi. Il convient donc d’établir la liste des informations « nécessaires », c’est-à-dire devant être systématiquement fournies aux citoyens et consommateurs par le moyen des messages publicitaires. Cette liste pourrait ensuite être adaptée en fonction des secteurs économiques. Dans certains d’entre eux, des informations additionnelles relatives aux aspects environnementaux ou sociétaux des produits et des circuits productifs devront être introduites, comme l’empreinte énergétique, la réparabilité, la valeur nutritionnelle, etc.
Réguler la communication produit pour lutter contre l’obsolescence
Certaines stratégies de l’industrie, dites d’obsolescence, visent le renouvellement prématuré de l’acte d’achat par le consommateur. Il peut s’agir de programmer une défaillance dans le fonctionnement du produit, mais aussi de stimuler son remplacement alors qu’il fonctionne encore. La communication commerciale et la pression publicitaire en particulier entretiennent directement ces phénomènes d’obsolescence stimulée (ou marketing) et renforcent son ancrage plus large dans la culture contemporaine du jetable.
Le dispositif légal mis en place en 2014 par la Loi de Transition énergétique et pour la croissance verte afin de lutter contre l’obsolescence programmée, l’article L111-4 du code de la consommation, doit être renforcé : sa définition peut inclure de manière explicite les phénomènes d’obsolescence stimulée ou marketing, et la sanction des pratiques industrielles et communicationnelles correspondantes.
Les principaux mécanismes de l’obsolescence marketing reposent sur l’articulation permanente de stratégies de design, de ventilation technologique (multiplication des gadgets présentés comme des innovations de rupture), de mises en scènes publicitaires et de promotions marketing. En matière de régulation, il est possible et pertinent d’intervenir sur le discours publicitaire, central dans ce dispositif. Pour ce qui relève des contenus, plusieurs techniques d’encouragement au gaspillage et au renouvellement prématuré des produits doivent être combattues : l’incitation au remplacement des biens en état de marche, la valorisation des produits jetables, le « rétro-shaming » (c’est à dire la ridiculisation de la récupération et de l’ancien), l’abus de l’argument de « l’innovation », les messages trompeurs sur le caractère recyclable ou réutilisable des produits, etc.
Enfin, en dehors des produits dont la consommation de masse constitue un problème écologique majeur – et qui dès lors ne doivent plus pouvoir faire l’objet de promotion commerciale – d’autres politiques de prévention peuvent être engagées. Par exemple, au moyen de mentions légales articulées aux messages publicitaires. Mais les dispositifs actuels de mentions légales tels que « mangez-bougez » ayant des effets limités ou nuls, il est impératif de les repenser pour renforcer leur impact.
Des mentions légales à la fois claires, utiles et adaptées pourraient en revanche jouer un rôle significatif dans la sensibilisation du public.
Réguler les discours sociétaux et corporate pour lutter contre le blanchiment d’image
L’écoblanchiment ayant été sous le feu des projecteurs, c’est le premier domaine où l’on observe les prémisses d’une évolution du coté des pouvoirs publics. Il peut porter sur des produits spécifiques, cas dans lequel iI a donné lieu à la condamnation d’une entreprise en France – Monsanto pour son désherbant phare, le Roundup, présenté abusivement comme « biodégradable ». Moins d’une demi-douzaine de condamnations similaires dans d’autres pays du monde constituent des exceptions dans le flot quotidien du greenwashing. Dans ce contexte, le jugement intervenu récemment en Italie offre un précédent ambitieux : l’autorité de la concurrence transalpine a infligé une amende de 5 millions d’euros à l’entreprise énergétique ENI pour ses campagnes publicitaires présentant son carburant issu de la culture de l’huile de palme comme « bio » et « renouvelable », questionnant directement le modèle économique de l’entreprise36. Dès lors que les activités de communication des entreprises se développent sur le terrain sociétal, leur régulation dans l’intérêt général paraît s’imposer, soit via l’intégration de ces discours – et de tous les supports qui les véhiculent – dans le périmètre des pratiques commerciales trompeuses, soit via la sanction du blanchiment d’image corporate au moyen d’un nouvel outil juridique dédié. C’est le sens des plaintes déposées en France contre Auchan et Samsung depuis 2013.
De plus, l’enjeu de la régulation des discours sociétaux et de la RSE doit être mis en lien direct avec celui de la responsabilité des multinationales vis-à-vis des dommages qu’elles causent par leurs activités. Le dispositif pionnier, adopté en 2017, du devoir de vigilance des maisons-mères sur leurs filiales et sous-traitants impose l’établissement d’un document intitulé « plan de vigilance ». Ce document doit contenir une série d’éléments précis d’information sur les risques de violations des droits humains ou de l’environnement liés à leurs activités. La production de ce support doit être suivie de sa mise en oeuvre effective sur le terrain, et ces deux étapes peuvent être l’objet d’un contrôle a posteriori par le juge. Ce cadre juridique est encore récent et, jusqu’à présent, le contenu des plans de vigilance se révèle encore très insatisfaisant37. Un suivi effectif est nécessaire pour contrôler la qualité des informations qu’ils apportent sur la réalité des pratiques sociales et environnementales des entreprises.
Ces outils pourraient alors s’avérer utiles pour éclairer l’analyse des supports de communication plus grand public – publicité corporate, codes de conduite, etc – et identifier les éventuelles situations de blanchiment d’image. En renfort du juge, ce contrôle des contenus pourrait être assuré par l’autorité publique indépendante évoquée précédemment. Quant aux entreprises jugées pour manquement à leur devoir de vigilance, elles devraient se voir imposer la mention de la condamnation dans tous leurs supports de communication corporate, jusqu’au retour à une situation de conformité.