Pour diminuer la pression globale de la communication commerciale et les phénomènes de surconsommation qu’elle entraîne, il est impératif de s’attaquer au marché de la publicité dans son ensemble, sur le terrain économique. Il peut s’agir d’interventions conjoncturelles contre les abus des oligopoles, mais des réformes structurelles peuvent également être envisagées, sur les plans comptable comme fiscal.
Encadrer le marché de la publicité
Des politiques économiques pour agir sur les volumes de communication commerciale
Pour une refiscalisation du marché de la communication commerciale
Pour limiter les volumes de la communication commerciale, l’instauration d’une fiscalité unique portant directement sur l’ensemble des dépenses publicitaires et marketing des grands annonceurs peut apparaître comme une solution évidente. Mais certains secteurs publicitaires spécifiques comportent déjà des taxes, qu’il est nécessaire de prendre en compte pour établir une vision fiscale cohérente. De plus, le marché publicitaire constitue une forme de financement pour certains secteurs économiques particuliers comme la presse, les médias et la culture, secteurs dont il s’agit de préserver la viabilité économique tout en soutenant leur indépendance.
Considérant les 24 milliards d’euros de dépenses publicitaires (médias et hors médias), l’addition du produit de toutes les taxes portant sur ces activités s’élève aux environs de 680 millions d’euros, soit 2,8 % de ce marché. Si l’on ajoute la taxe sur la communication du secteur pharmaceutique (assiette large incluant relations publiques et marketing), le tout doit être rapporté au chiffre d’affaire de l’ensemble du marché de la communication commerciale (31 milliards d’euros marketing compris) : la pression fiscale se situe toujours à 2,8 %. En clair, le marché de la publicité est globalement taxé à moins de 3 %, l’achat d’espace dans les médias en est largement exempt et en dehors du secteur pharmaceutique, les activités de relations publiques et de marketing ne sont pas du tout taxées.
Un premier pas consisterait logiquement à boucher les trous dans la raquette fiscale sur le marché de la publicité. Le rétablissement, à leur taux initial, des taxes sur les recettes publicitaires des régies radio et télé générerait autour de 150 millions d’euros. Introduire une taxe sur la publicité dans le secteur de la presse (pour soutenir les médias les plus indépendants) à un taux pilote de 2,5 %, pourrait générer quelques 50 millions d’euros. Avec ces deux réformes fiscales venant s’ajouter à la fiscalité actuellement en vigueur, et en intégrant la hausse anticipée du rendement de la taxe GAFA, le produit de la fiscalité pesant sur le marché publicitaire pourrait alors atteindre le milliard d’euros en 2021. Néanmoins, l’objectif politique de lutte contre la surconsommation implique de mettre également les dépenses de marketing promotionnel à contribution : un marché à 7,2 milliards d’euros sur lequel une taxe de 7 % générerait plus de 500 millions d’euros. Cela porterait la fiscalité sur l’ensemble du marché de la communication commerciale à 1,5 milliard, soit un taux moyen proche de 5 %. Une telle politique « de rattrapage fiscal » contribuerait à la lutte contre l’économie de surconsommation, mais l’urgence écologique doit inviter à considérer des niveaux de redistribution plus ambitieux.
Surtout que si l’approche fiscale vise à limiter le volume des dépenses publicitaires, elle permet aussi de dégager de précieuses ressources financières. Le dispositif de type « pollueurs-payeurs » actuellement mis en oeuvre dans le secteur pharmaceutique (où le produit de la taxe finance les activités de prévention d’organismes indépendants) pourrait être répliqué dans le secteur de l’automobile, de la fast fashion ou de l’agroalimentaire.
D’autres secteurs devant jouer un rôle clé dans la transition écologique et sociale (produits bio et équitables, réparation et réemploi, mobilités douces, etc.) pourraient au contraire se voir exemptés de ces taxes. Par ailleurs, les taxes sur la publicité commerciale dans les médias peuvent financer le soutien aux médias plus indépendants (ou l’accès des associations aux espaces médias) selon le modèle « TA-SR » (Tax Advertising-Subsidize Readers) dont une forme simple fonctionne efficacement en Suède depuis 1971..
Comptabiliser les investissements publicitaires pour taxer les marques
Les campagnes de communication corporate, y compris publicitaires, constituent avant tout un investissement durable dans la valeur financière de la marque. Pourtant, dans le cadre des règles comptables actuelles, ces dépenses ne sont pas distinguées de celles de la publicité produit, qui pour sa part sert directement des objectifs de vente et constitue un coût pour l’exercice commercial. Aujourd’hui, toutes les dépenses d’achats d’espaces publicitaires sont comptabilisées comme la publicité produit dans les charges annuelles, réduisant d’autant le résultat fiscal annuel. Par conséquent, les activités de publicité corporate permettent à la fois d’augmenter la valeur financière de l’entreprise dans le temps, et de diminuer son résultat fiscal de l’année : une incohérence en termes de logique comptable, qui contribue à une diminution illégitime des impôts de l’annonceur. La dimension commerciale/produit ou corporate d’une campagne publicitaire est explicitement identifiée en interne dans l’entreprise. Cette distinction peut donc être traduite dans la comptabilité par des régimes différenciés selon que les dépenses de publicité servent des stratégies corporate ou commerciale, les premières devant principalement être comptabilisées dans les investissements sur 5 ans au moins, et les secondes principalement rester comptabilisées annuellement dans les charges.
Le modèle pragmatique envisagé par les Américains
Un modèle en discussion au Congrès américain étudie une option pragmatique en considérant que 50 % de toute dépense publicitaire devrait passer en investissements amortis sur 5 ou 10 ans, tandis que l’autre partie resterait attribuée aux charges39.Néanmoins, en ignorant l’existence d’une publicité institutionnelle dirigée spécifiquement vers le développement de la marque, cette solution maintient une « prime à la publicité corporate », favorable à l’installation des marques sur le terrain sociétal et au blanchiment d’image.
On observe d’ailleurs qu’outre-Atlantique, le choix d’un plafond rigide et la fixation de son montant et de sa durée d’amortissement
semblent surtout correspondre à des objectifs de rentrées fiscales.
Des plafonds de dépenses publicitaires pour lutter contre les oligopoles
Que peut faire la concurrence contre L’Oréal qui, sur le marché des produits de beauté, dépensait en 2015 29 % de son chiffre d’affaires en communication commerciale – soit 7,4 milliards d’euros – contre moins de 3 % en R&D38 ? En situation d’oligopole, non seulement les marques dominantes peuvent utiliser la publicité comme une barrière à l’entrée de la concurrence (en raison du niveau de dépense requis pour « exister » sur le marché), mais les logiques de surenchère publicitaire qui s’établissent entre elles amènent les consommateurs à acheter les produits plus chers que si la concurrence par les prix était effective.
Les dispositifs existants pour préserver la concurrence au niveau national et surtout européen doivent intégrer des paramètres liés aux dépenses publicitaires et à leurs effets oligopolistiques sur le marché. Dans le cas des situations de « surenchères et bulles publicitaires », la collusion passive ou tacite peut être sanctionnée si l’on démontre que les dépenses publicitaires ont pour effet de limiter soit la compétition sur les prix entre les acteurs dominants, soit l’accès au marché de nouveaux entrants. Les niveaux de dépenses publicitaires par rapport au chiffre d’affaires peuvent être pris en compte dans ce cadre. Ensuite, des plafonds de dépenses ou des taxes punitives peuvent être imposés individuellement ou collectivement aux entreprises concernées. Des mentions légales à la fois claires, utiles et adaptées pourraient en revanche jouer un rôle significatif dans la sensibilisation du public.