Il serait légitime que le produit des taxes sur la publicité dans les médias soit dirigé vers des mécanismes de soutien aux médias les plus indépendants et aux discours des associations, pour les rendre plus audibles dans la société de communication. Mais ces secteurs doivent aussi envisager des réformes : faire évoluer le système d’aides à la presse et développer de nouvelles modalités de communication et d’influence dans la société civile.
Renforcer les voix citoyennes
Pour un renforcement de l’ndépendance et du pluralisme des discours
Réformer les aides à la presse pour réaffirmer le soutien au pluralisme
Remettre la presse au seul service de sa mission culturelle et démocratique implique de développer de nouveaux modèles économiques assurant son indépendance vis-à-vis des annonceurs, et un encadrement de sa structure actionnariale et décisionnelle. Une réforme des dispositifs actuels d’aides à la presse pourrait permettre dès demain de promouvoir une presse plus indépendante des logiques marchandes. En ciblant mieux les bénéficiaires et en renforçant les mécanismes incitatifs, il est possible de promouvoir aussi bien des modèles d’indépendance financière totale que des modèles économiques mixtes, qui offrent de solides garanties de souveraineté éditoriale vis-à-vis des annonceurs. En France, le statut de « presse » permet de bénéficier d’aides indirectes qui représentent un demi-milliard d’euros chaque année. Il est attribué, par une commission indépendante, aux publications (papier et en ligne) hébergeant moins de deux tiers d’espaces publicitaires. Le statut de presse « d’information politique et générale » (IPG) – censé « tendre à éclairer le jugement des citoyens » sans qu’aucun critère additionnel concernant les financements publicitaires n’y soit intégré – ouvre droit à des aides directes, moindres en volume (environ 80 millions d’euros annuels).
Seule l’une d’entre elles – environ 15 millions d’euros réservés au soutien du « pluralisme dans la presse IPG » – est conditionnée par une place « faible » (moins de 25%) des financements publicitaires dans le modèle économique du bénéficiaire. Suite à la multiplication du nombre de titres de la presse spécialisée et grand public (non IPG) au cours des dernières décennies, et à la contrition de la presse IPG, les plus gros volumes des aides indirectes sont engloutis par des médias le plus souvent imprégnés de logiques publicitaires. La Cour des comptes, qui recommandait depuis plusieurs années une approche du soutien à la presse qui soit mieux ciblée sur l’IPG, appelle désormais à la suppression pure et simple des aides à la presse généraliste. Les seuils et les méthodes d’évaluation du poids de la publicité dans les publications doivent en tout cas être sérieusement réévalués pour prendre en compte les contenus hybrides (native advertising) et autres formes plus informelles de coopération avec les marques. Cela doit permettre de limiter le bénéfice des aides pour des publications fortement dépendantes des annonceurs, et concentrer ainsi les volumes d’aides sur les médias moins publicitaires. Surtout, une réforme plus profonde du statut de presse lui-même doit être envisagée. Soit, comme le recommande la Cour des comptes, en réservant l’ensemble des aides à la presse à l’IPG ; ou, mieux, en se basant sur la notion d’information politique et citoyenne (IPC) développée par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne.
Renforcer les voix singulières des associations citoyennes
Dans la société de communication, les multinationales restent archi-dominantes dans les trois canaux par lesquels passent les flux d’information des organisations : les journalistes (earned media), le marché publicitaire (paid media) et les outils propres de ces organisations (owned media). Afin de réduire le déséquilibre entre la puissance de communication de l’industrie et celle des ONG citoyennes, des politiques publiques doivent faciliter l’accès du tissu de la société civile à un secteur de la communication dynamique. Mais ce secteur devra être capable de s’emparer de l’outil, et de développer un discours propre passant par des stratégies légitimes. Pour les petites associations, le manque de moyens humains ou financiers n’est pas nécessairement la seule explication des faiblesses souvent observées dans les activités de communication. Elles sont de fait nombreuses à considérer la communication comme simple fonction support, qui intervient en fin de cycle lorsqu’il s’agit de faire connaître et diffuser les projets.
Pour accompagner et/ou former les petites et moyennes associations aux activités de communication grand public, médias et d’influence, des structures (associations, SCOP, agences) commencent à voir le jour. La poursuite de leur développement nécessitera certainement une évolution dans la culture associative sur les enjeux de communication, mais des politiques économiques de soutien paraissent aussi nécessaires, afin de faciliter leurs accès aux services devant générer une montée en compétences.
La mobilisation du secteur de l’éducation populaire devrait aussi permettre de faire de l’éducation aux médias à l’ère du numérique un axe stratégique. Cela faciliterait la politisation des citoyens et des associations vis-à-vis de leurs propres outils de travail et de communication. L’intégration des réflexions critiques vis-à-vis des GAFAM doit viser l’accélération du processus d’adoption progressive des logiciels libres existants, et l’utilisation des réseaux sociaux libres de surveillance publicitaire.
A l’opposé, le modèle des grandes ONG participe trop souvent à la décrédibilisation de l’utilité politique des activités de communication. De fait, nombre d’entre elles se bornent à singer les méthodes de la publicité commerciale, y compris dans leurs aspects les plus caricaturaux et à des fins d’appel aux dons. En s’associant aux entreprises ou en utilisant les mêmes canaux et codes de communication, ces grandes associations participent à la confusion entre secteur non lucratif et intérêts économiques privés, ce qui légitime en retour les discours des entreprises sur les enjeux sociétaux et politiques…
Il serait illusoire de vouloir rééquilibrer la puissance de communication des associations vis-à-vis de celle des grandes entreprises par le seul renforcement de leurs capacités, ou encore par un simple appui financier dans la concurrence des grands annonceurs pour les espaces publicitaires. Pour soutenir les discours citoyens, il paraît nécessaire d’intervenir sur l’organisation même du marché publicitaire. Cela doit non seulement passer par la facilitation d’un accès privilégié aux espaces médiatiques pour une diversité d’associations, mais aussi par l’organisation de ces espaces de manière appropriée au déploiement des discours citoyens.
Abordé par un rapport du Conseil supérieur de l’audiovisuel de 201141, l’enjeu de l’accès privilégié des associations aux espaces médiatiques repose sur les mêmes fondements que celui mis en place pour les partis politiques lors des campagnes électorales. Il s’agirait d’une sorte de déploiement pérenne du système actuel de « grande cause nationale », qui serait dès lors clairement doté d’un objectif de promotion de la diversité des voix et des messages, écartant l’appel aux dons explicite.
Un tel dispositif supposerait, pour des raisons techniques et financières, la mise en place d’une grande centrale d’achats d’espaces réservée aux associations.
Le secteur marchand devrait être mis à contribution par une taxe sur ses dépenses de communication commerciale dans les médias. La gouvernance de ce mécanisme de soutien de l’accès des associations aux espaces médiatiques devrait naturellement inclure les ONG elles-mêmes, bénéficiaires auto-organisées. Celles-ci devraient pour leur part être à l’initiative dans l’établissement de critères de communication à « valeur ajoutée citoyenne ».
L’importance politique de la voix des associations
Des centaines de milliers d’associations sont aujourd’hui actives sur des enjeux socio-économiques et politiques, dont une bonne partie sont des ONG de défense des droits et des causes. La communication de ces organisations citoyennes, petites et grandes – les 2/3 d’entre elles ont moins de 5 salariés, les autres en ont souvent plus de 10 et une poignée des centaines40 – joue un rôle crucial dans la vitalité démocratique de notre pays. Médecins sans Frontières ou Act Up montraient déjà la voie au siècle dernier en rendant visible par leurs « coups de com » les enjeux politiques du conflit oublié du Biafra ou autour du Sida. Sans les mêmes moyens, le collectif Jeudi Noir médiatisait efficacement l’impossible accès au logement des jeunes et contribuait à la mise en place de la loi Alur. Les positions que les mouvements et associations prennent publiquement, et leurs activités de mobilisation et de plaidoyer, nourrissent le champ politique et apportent un contrepoint aux discours de l’industrie.